dimanche 4 septembre 2011

L'exemple allemand en question

Après un récent article sur la dette et les déficits en France depuis 1983, intéressons-nous maintenant à l'exemple allemand. En effet, il est de bon ton aujourd'hui de vanter l'exemple allemand, et de se référer dans toutes les discussions économiques à un modèle germanique prédominant. Le gouvernement qui s'en approcherait serait vertueux, "bon élève", et serait alors compétent en finances publiques, tandis que celui qui s'en éloignerait serait irresponsable, et menacerait la France.
Nous allons donc étudier quelques affirmations, entendues ces derniers mois.


La crise financière

L'UMP le répète : grâce à Nicolas Sarkozy, la France a mieux résisté à la crise financière de 2008-2009 que l'Allemagne. Comparons alors la croissance des deux pays.


On remarque que la croissance de la France est restée supérieure à celle de l'Allemagne au plus fort de la crise : la récession a été moins profonde. Ainsi, en 2009, l'Allemagne avait une croissance de -4,669 %, tandis que la France ne subissait « que » un -2,546 %. Une différence de plus de deux points, donc, qui montre que la croissance française a mieux résisté. L'UMP a ici raison.

Cependant, la reprise amorcée dès 2010 a été plus faible en France qu'en Allemagne. Ainsi, en 2010, la croissance a été de 1,486 en France contre 3,504 % en Allemagne, et en 2011 de 1,784 % en France contre 2,092 % en Allemagne. Néanmoins, le FMI prévoit une baisse de la croissance en Allemagne ces prochaines années (pour atteindre 1,3 % en 2016), tandis que la croissance de la France devrait continuer d'augmenter (pour atteindre 2,1 % en 2016). Signalons toutefois que ces dernières prévisions du FMI ne tiennent pas compte de la crise de la dette de cet été et des perspectives de croissance, revues à la baisse, formulées ces dernières semaines.


Le gouvernement Schröder

Autre affirmation souvent entendue, l'Allemagne aurait bénéficié des réformes « courageuses » et parfois impopulaires du chancelier Gerhard Schröder pendant la coalition « rouge-verte » (SPD-Grünen), entre 1998 et 2005.

En regardant le graphique précédent de la croissance de l'Allemagne, on remarque que celle-ci s'est nettement redressée après le début des années 2000, période de faible croissance partout en Europe.  Ainsi, dès l'année 2003, la croissance allemande repart à la hausse, et dès 2006, elle dépasse celle de la France, pour la première fois depuis plus de dix ans.
Cette tendance est encore plus significative quand on regarde l'évolution des déficits publics pendant la même période.


A partir de 2005, les déficits publics reviennent à des niveaux acceptables (-3,393 % en 2005, -1,596 % en 2006) pour s'annuler avant la crise financière de 2009. Ainsi, en 2007 (+0,261 %) et 2008 (+0,114 %), l'Allemagne est même en bénéfice net.


Le gouvernement Villepin

Dominique de Villepin, pour fêter son retour médiatique après un long procès Clearstream en appel et de longues vacances entrecoupées de négociations diplomatiques secrètes, répète partout que si la France a décroché par rapport à l'Allemagne, c'est uniquement de la faute de Nicolas Sarkozy.


Les deux graphiques précédents montrent que le gouvernement Villepin (2005-2007) a su maintenir une croissance honorable (au-dessus de 2 %) et des déficits publics relativement modestes.

Cependant, le graphique du poids de la dette montre clairement que l'écart entre les politiques française et allemande se fait sentir dès 2006. Ainsi, en 2007, l'Allemagne est en excédent budgétaire de +0,261 ù pendant que la France traine encore un déficit public de -2,732 %. En 2007, la France et l'Allemagne ne sont pas dans la même situation : le poids de la dette française est plus élevée, et en hausse, que celle de l'Allemagne.


Le gouvernement de Dominique de Villepin n'a donc pas laissé une France en parfait état, même si ses partisans diront qu'elle était sur la voie du redressement. L'analyse de l'ancien Premier Ministre de Jacques Chirac, entendue dernièrement sur France Inter, est en fait plus juste dans son ensemble : la situation de la France était bien meilleure en 2007, mais des efforts importants auraient encore dû être faits.


La politique de Nicolas Sarkozy

Au final, ce serait donc la politique budgétaire des gouvernements Fillon, sous Nicolas Sarkozy, qui auraient participé à la dérive de la France par rapport à notre voisin allemand. Le graphique de la dette nette de la France confirme cet avis : à partir de 2007, la dette nette de la France explose, et finit même par dépasser celle de l'Allemagne, en 2010.


Les prévisions du FMI pour les déficits publics de l'Allemagne et de la France le confirment : en 2015, l'Allemagne devrait stabiliser son déficit à -0.05 %, contre -2,2 % pour la France (prévisions établies avant la crise de cet été). La politique budgétaire de Nicolas Sarkozy a donc clairement été moins bonne que celle de l'Allemagne en temps de crise.


Notes : vous pouvez retrouver le document du FMI ici. Les graphiques sont de ma conception. 1 G€ = 1 milliard d'euros. 1 T€ = 1 000 milliards d'euros.

lundi 29 août 2011

Non, non, rien n'a changé

A défaut d'actualité intéressante en ces temps de vacances de ministres et d'université d'été du Parti Socialiste, j'ai eu l'idée de relire quelques vieux journaux datant de fin 2005, et que je conserve précieusement dans un placard. Voyons les titres.


Jeudi 17 novembre 2005 : « L'UMP voit un rapport entre violences urbaines et polygamie »

Après les émeutes du début du mois de novembre, le gouvernement, et en premier lieu son ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, essaie d'expliquer les dérapages en banlieue. A 18 mois de l'élection présidentielle de 2007, l'UMP poursuit alors sa stratégie de droitisation de sa ligne et de conquête de l'électorat frontiste.


Ainsi, Gérard Larcher, alors ministre de l'Emploi (et actuellement président du Sénat), déclare que la polygamie est « l'une des causes des violences urbaines ». Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale (et actuellement président de cette même assemblée), précisait que « cela pose des problèmes de logement », car « on ne peut pas vivre à plusieurs dans un appartement ». On parlait alors de 30 000 familles polygames.

Comme quoi, la politique du bouc-émissaire n'est pas nouvelle, et l'affaire Liès Hebbadj - musulman radical et polygame dont la femme voilée avait été arrêtée au volant en 2010 - n'est finalement qu'un écho des répétitions de l'Histoire.


Lundi 12 décembre 2005 : « Les extraits de naissance disponibles sur le Net »

Le ministre délégué à la Réforme de l'Etat, Jean-François Copé (actuellement secrétaire général de l'UMP) annonce que « 2006 sera l'année clé de l'administration électronique ». Une simplification des demandes est ainsi prévue grâce à Internet, notamment avec la télédéclaration des impôts. L'objectif affiché est alors de « permettre aux Français d'effectuer toutes leurs démarches administratives sans se déplacer, et 24h/24 ».


Quand on voit le temps qu'il faut aujourd'hui pour qu'une administration publique envoie un papier, on remercie gentiment Jean-François Copé. Cf ma notification conditionnelle de bourse que j'attends depuis un mois et demi.


Lundi 12 décembre 2005 : « Le PS doit faire sa révolution »

Quelques jours après la clôture du congrès du Mans du Parti Socialiste, Arnaud Montebourg revient, dans une interview au journal gratuit 20 Minutes, sur sa création de son nouveau courant : « Rénover maintenant ». VIème République, lutte contre les délocalisations, emploi, banlieues, les thèmes sont les mêmes qu'aujourd'hui. Arnaud Montebourg exhorte ainsi les socialistes à « faire leur révolution pour affronter la mondialisation ». On remarquera au passage qu'à l'époque, il ne s'agissait pas de s'en détourner.


Arnaud Montebourg revient également sur les condamnations consécutives aux émeutes en banlieue, en relativisant leur nécessité devant « l'enterrement des affaires de délinquance en col blanc ».


L'actualité est presque identique six ans plus tard. Finalement, pourquoi suivre l'actualité quand il suffit de retrouver de vieux journaux ?



Ah, si, un petit changement en six ans : en 2005, on pouvait encore lire le titre « Nicolas Sarkozy de plus en plus haut dans les sondages » (20 Minutes du 17 novembre). Plus maintenant.

dimanche 28 août 2011

FAI : Retour vers le passé

J'ai eu accès à Internet chez moi pour la première fois en 1998. J'étais petit, on avait notre premier PC (avec 1,5 Go de disque dur, la claaasse !), on était émerveillé par Lycos, jouer au Solitaire sous Windows 95 relevait du prodige, il fallait 48 heures pour une défragmentation... Le bon temps, quoi. A l'époque, nous avions 1 h d'Internet par mois, chez Club-Internet, en très bas débit (pire que du 56k). Et déjà, à l'époque, on commençait à parler de forfaits à 25 heures, 50 heures, voire même 100 heures par mois pour seulement 40 ou 50 euros par mois !

Depuis, France Télécom a été privatisé, et Free, filiale d'Iliad, est arrivé sur le marché (en 2002). Les prix ont été cassés, les débits offerts se sont envolés, l'illimité et le Triple Play (voire le Quadruple Play en ce moment) sont devenus nécessaires pour garder ses clients. Au meilleur moment du changement, lorsque Free attirait de plus en plus de clients, France Télécom perdait 10 000 clients par semaine. Depuis, 38,23 millions de Français ont accès à Internet (71,3 % des plus de 11 ans), dont 34,28 millions en haut débit (89,1% des internautes).

Un article du journal 20 minutes datant de novembre 2005

La norme des abonnements Internet, spécifique à la France, est la suivante : 30 euros par mois pour le téléphone, Internet et la télévision illimités et en haut débit. Malgré quelques disparités territoriales subsistantes et les tentatives du gouvernement de diminuer les bénéfices des FAI (Fournisseurs d'Accès à Internet), les avantages des clients semblent acquis, en attente de l'arrivée de la fibre optique. Seulement, les FAI résisteront-ils à la tentation d'augmenter les prix de manière coordonnée ?

D'après le site owni.fr, des discussions seraient en cours pour mettre fin à cet âge d'or pour les clients de l'Internet illimité. A travers la Fédération Française des Télécom (FFT), les principaux FAI français seraient en train de s'entendre discrètement. Le document de la FFT, datant du 21 juillet dernier, serait ainsi « une réponse à la consultation menée par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) sur la neutralité des réseaux ».

Depuis quelques années, la neutralité du Net est attaquée par certains géants de l'Internet. On peut ainsi citer le blocage de sites de syndicats, de vidéos, d'applications de VoIP (comme Skype), la mise en place de forfaits donnant le droit de consulter exclusivement certains sites (comme Facebook ou Twitter par exemple)... Et dans le cadre de la FFT, les principaux opérateurs français (Orange, SFR, Bouygues Telecom), à l'exception de Free et de Numéricable, semblent désormais vouloir différentier les débits selon l'usage d'Internet ou selon la consommation de bande passante de leurs clients.

La « gestion du trafic » est alors mise sur la table de l'entente cordiale entre les FAI. Ainsi, le document de travail de la FFT prévoit que « pour les applications et services dont les besoins sont moins déterminants, les opérateurs peuvent limiter les flux correspondants et ainsi améliorer l'expérience des consommateurs souhaitant accéder à d'autres types de services ». Pour faire discrètement passer la pilule auprès des clients, les « clauses d'usage raisonnable », déjà mises en place pour certains forfaits mobile, sont vantées : selon l'appréciation du FAI, votre débit peut ainsi diminuer, votre accès à Internet être coupé, parce que vous n'avez pas été « raisonnable ».

Concrètement, cette initiative peut se traduire par une différenciation des forfaits, avec une « segmentation des offres » encore plus importante. Ainsi, différents contrats peuvent être souscrits, et le client paie plus s'il veut utiliser plus de bande passante. L'objectif final est alors de limiter la consommation en bande passante des internautes et d'augmenter au passage les forfaits.

La justification des FAI est primaire : il faut « réduire autant que possible les situations de congestion des réseaux », « garantir la sécurité du réseau et des utilisateurs », assurer « la continuité de service pour l'ensemble des utilisateurs ». De nobles principes, donc, qui seraient assurés par « la réduction de débit au-delà d'un seuil de volume de données consommées », ceci pour « éviter une facturation excessive » imposée au client s'il n'est pas « raisonnable ». Adieu Megavideo, Youtube, Deezer, Twitter, Facebook, Bittorent, la télé sur Internet, vous consommez trop pour nous !

Un publicité pour Cégétel (depuis racheté par SFR) de 2005

A la manière du design retro très en vogue en ce moment, les offres Internet prendraient ainsi un sacré coup de vieux. Avec des forfaits calqués sur ceux pratiqués aux Etats-Unis par certains opérateurs, nous reviendrions en 1998, lorsqu'il fallait compter les minutes passées sur Internet et se mettre hors connexion pour lire ses mails, sinon ça coûtait trop cher. Au final, nous aurions moins d'Internet pour être sûr de ne pas en avoir moins. Logique imparable de la FFT.

Derrière ces raisons affichées se cache un problème plus économique. Alors que le marché de l'Internet a fini son expansion en France et qu'il est désormais difficile pour un FAI d'attirer de nouveaux clients, les opérateurs souhaitent augmenter leurs bénéfices en réduisant leurs investissements. Persuadés que le client ne réagira pas et continuera à payer, les FAI préfèrent ainsi les faire passer à la caisse, plutôt que d'investir dans de nouvelles infrastructures pour développer l'accès à Internet pour tous ou pour répandre le très haut débit avec la fibre optique.


Les politiques et associations de défense des consommateurs ont réagi. L'UFC-Que-Choisir a bien sûr dénoncé ces pratiques « inacceptable », soulignant que de nouvelles offres différentiées ne favoriseraient pas le client. Le gouvernement, par Eric Besson, ministre de l'Economie Numérique, a aussi réagi : « Le gouvernement n'envisage aucune restriction de l'accès à Internet et travaille bien au contraire au développement du très haut débit fixe et mobile sur l'ensemble du territoire et pour l'ensemble des Français ».

Le Parti Socialiste, par l'intermédiaire de son porte-parole Benoît Hamon, s'est aussi opposé à de tels changements.

« Il n'est pas question pour nous que nous acceptions une remise en cause de la neutralité de l'Internet notamment à travers l'accès qui pourrait être limité à un certain nombre de technologies ». La position du Parti Socialiste est donc claire : « C'est pour nous absolument inacceptable ».

Le Front National, par l'intermédiaire d'un communiqué de sa présidente Marine Le Pen, a également réagi : « L’accès à Internet peut être assimilé à un service public. Il n’est pas question d’en rendre le coût prohibitif ou d’en dégrader la qualité de service ».

samedi 27 août 2011

Terra Nova vs. les Grandes Ecoles

Le 23 août dernier, Terra Nova, think tank politique proche du PS, a publié un rapport intitulé « Faire réussir nos étudiants, faire progresser la France : Propositions pour un sursaut vers la société de la connaissance ». Dans ce papier de 97 pages visible ici, la question des Grandes Ecoles, une des nombreuses spécificités françaises, est largement abordée.
Terra Nova commence par reconnaitre l'utilité des Grandes Ecoles dans l'histoire française : pour former des cadres, ingénieurs, hauts fonctionnaires, elles se sont toujours révélées les meilleures structures pour faire face aux défis que la France rencontrait. Industries ferroviaire, aéronautique, aérospatiale, nucléaire sont ainsi citées comme des exemples de l'utilité de ces écoles. Mais ce système est aujourd'hui dépassé selon le think tank de gauche, car il est trop vieux, et pas assez ancré dans la recherche.

Le groupement d'écoles d'ingénieurs ParisTech (Agro, Chimie Paris, Ponts, X, ENSTA, ENSAM, ENSAE, Mines de Paris, SupOptique, Telecom Paris...) est cité : selon Terra Nova, il n'aurait produit que deux prix Nobel, contre 23 pour le Massachusetts Institute of Technology (MIT, Etats-Unis). Outre que je ne sais pas d'où ils ont sorti ces chiffres, il ne faut pas mélanger les Grandes Ecoles et les universités (françaises ou américaines) dont le rôle est fondamentalement différent.

Ainsi, les Grandes Ecoles d'ingénieurs ont pour but premier de former des ingénieurs, et non des chercheurs. La recherche est réservée aux Ecoles Normales Supérieures (Ulm, Cachan, Lyon), qui offrent ensuite des débouchés au CNRS ou pour des places d'enseignant-chercheur des universités. Au contraire, les écoles d'ingénieurs permettent aux étudiants d'acquérir le savoir nécessaire à leur futur professionnel, et s'inscrivent ainsi plus directement, dans l'esprit, dans la lignée du lycée et des classes préparatoires (avec néanmoins un plus fort ancrage dans le monde de l'entreprise). Va-t-on regretter que nos bacheliers n'aient pas de distinctions internationales ?

Toutefois, les Grandes Ecoles d'ingénieurs ne sont pas totalement absentes de la recherche scientifique. Ainsi, des entreprises n'hésitent pas à demander aux étudiants de ces écoles de réaliser certaines études. De plus, les débouchés dans le monde de la recherche sont nombreux pour certaines écoles, à l'image de l'Ecole Polytechnique (28% de doctorants pour la promotion 2009, sans compter la recherche en entreprise).


Terra Nova revient ensuite sur le mode de sélection des classes préparatoires et des Grandes Ecoles. Ainsi, la réussite serait « mécaniquement » impossible sans « s’orienter dès le plus jeune âge vers les filières les plus sélectives ». Ce « filtrage féroce » permettrait alors de ne sélectionner que ceux qui auraient alors « accès aux classes préparatoires parisiennes et versaillaises ». Outre l'éternel débat sur la reproduction sociale (que je n'aborderai pas ici), cette affirmation est fausse : on ne prépare pas un enfant de maternelle à être ingénieur, et il y a assez de place dans les classes préparatoires parisiennes pour tous ceux qui le souhaitent. Sachant qu'un élève a plus de chance de rentrer à Polytechnique en étant au lycée du Parc à Lyon qu'à Buffon à Paris.


Terra Nova continue ensuite, pendant un certain nombre de pages, à critiquer le modèle français. Il y a pas assez d'ingénieurs formés en France (Dix fois moins qu'en Chine, et il parait que c'est anormal), ceux-ci « ne travailleront souvent même pas pour le France » (23% à Polytechnique, mais moins de 10% dans l'immense majorité des écoles d'ingénieurs), font des stages dans des entreprises et non dans des « associations et ONG », favorisent les étudiants « forts en math »... Toute personne connaissant un peu la situation comprendra l'absurdité de ces constats.

Ancienne Ecole Polytechnique

Alors, au final, que propose Terra Nova ? D'augmenter le nombre de places en Grandes Ecoles pour faire face au déficit d'ingénieurs et chercheurs français ? Eh bien non, leur proposition 17 prévoit de « réduire de 50% en 5 ans les places aux concours des grandes écoles », et de « diminuer de 33% en 5 ans le nombre de places en classes préparatoires ». De plus, cette proposition prévoit d'« augmenter les nombres d’admis dans les grandes écoles issus de l’université et n’étant pas passés par les prépas ». L'effet sera, pour le coup, mécanique : la sélection sera encore plus rude à l'entrée. Bien joué !

Terra Nova propose ensuite (proposition 18) de « rattacher administrativement les classes préparatoires aux universités ou aux PRES [pôles de recherche et d'enseignement supérieur, ndlr] ». Cette mesure serait difficile à mettre en place administrativement : les classes préparatoires se situent dans des établissements faisant presque toujours aussi office de lycées. De plus, les prépas ne sont clairement pas le lieu où il convient de faire de la recherche.

Proposition suivante, la numéro 19 : « confier au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche la tutelle principale de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur ». C'est déjà le cas pour presque toutes les écoles d'ingénieurs françaises. Suivant !

Proposition 32 : « Rendre publique la liste des sujets d’écrit et d’oral des années précédentes pour chaque concours et examen ainsi que leur solution. C’est un phénomène peu connu mais très discriminatoire en faveur des grands lycées parisiens au détriment des lycées de province ». Ces sujets sont déjà présents sur les sites des différents concours, et les solutions sont très facilement trouvables sur Internet (ce qui est bien pratique quand on a des DM à rendre trop rapidement).

Proposition 35 : « Atténuer dans certains concours et examens les coefficients des matières socialement discriminatoires, et non directement liées aux professions auxquelles le concours donne accès ». Le débat est ici un peu déplacé, mais je ne suis pas favorable à une réévaluation massive des coefficients : un bon ingénieur ou chercheur (de même que pour les professions des autres filières) doit savoir bien parler français et anglais. Pour cela, des moyens sont déjà adaptés pour acquérir le niveau demandé pendant les classes préparatoires.


Globalement, Terra Nova me semble très loin de la réalité des Grandes Ecoles et des classes préparatoires. Pour revaloriser l'université française, il existe d'autres moyens que la casse d'une spécificité française qui marche.

Ce rapport a été assez peu décrié, malgré certaines idées étranges. Les mesures préconisées à propos des Grandes Ecoles ne surprendront pas les responsables socialistes ; en revanche, ceux-ci ne se sont guère émus de la proposition de tripler les droits d'inscription en licence et de les quadrupler en master, ce qui est plus étonnant.

Une agence de notation européenne, ou qui veut dépenser 300 millions d'euros

« Rien ne nous empêche de créer rapidement une agence de notations européenne. »
Dans son discours du 20 août dernier, à Clermont-Ferrand, Eva Joly affirme clairement son envie de créer une telle agence. Mais elle n'est pas la seule. Voyons ce que d'autres politiques en pensent.

Arnaud Montebourg, candidat à la primaire socialiste, affirme dans un communiqué son intention de « Démanteler les agences de notation privées, véritables dangers publics ». Selon lui, « l’Europe doit parallèlement organiser la création d’une agence de notation publique européenne. Elle serait indépendante, transparente et déconnectée des intérêts privés. »

On rencontre alors un premier problème : comment une agence de notation publique pourrait-elle être indépendante ? Comment une agence « chapeautée par la BCE », comme le veut Jean-Claude Juncker, pourrait-elle être crédible pour les acteurs économiques et ne pas être entachée de soupçons d'influences ? Le but, offrir une alternative à Standard and Poor's, Moody's et Fitch, serait alors compromis dès la création.


Le meilleur exemple d'une agence publique indépendante qui n'a pas fonctionné est en Chine, avec Dagong. Cette agence chinoise, fondée en 1994, n'a jamais fait référence dans le milieu, notamment à cause de ses notes plus élevées pour les créances chinoises et plus basses pour les occidentales. Ainsi, Dagong avait baissé la note de la dette américaine le 5 août dernier sans conséquence sur les marchés financiers.

L'indépendance d'une telle agence est donc capitale pour qu'elle soit utile. C'est pourquoi de riches familles allemandes soutiennent la création d'une agence de notation suisse, chargée au départ de noter seulement les crédits des entreprises. Une position à contre-courant des réflexions actuellement en cours au gouvernement allemand, démenties néanmoins par le ministre des Finances Wolfgang Schäuble.

Finalement, une telle agence est-elle nécessaire ? En quoi pourrait-elle changer la donne sur les marchés ? Faut-il dépenser 300 millions d'euros pour une structure qui n'aurait pour rôle que de confirmer les notes de ses concurrentes ? Je ne le pense pas. Une agence européenne ne serait utile que si elle était créée de manière totalement indépendante et transparente, sans intervention des Etats et sans financement par ceux-ci.


A défaut de créer une agence « publique et indépendante », certains voudraient supprimer les agences américaines, ou leur interdire de noter sévèrement les Etats ou entreprises en difficulté. Outre Arnaud Montebourg qui veut les « démanteler », Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche, s'exclame : « les agences de notation, à la niche ! ».

Ces dernières propositions sont, au mieux irréalistes, au pire irresponsables. Rappelons déjà que les trois principales agences de notation sont, pour le coup, indépendance, qui plus est américaines : un homme politique français ne pourra rien contre elles. On retrouve ensuite le débat sempiternel du thermomètre et de la température, de la Cassandre et de la prédiction : faut-il taper sur celui qui annonce les difficultés des Etats et des entreprises ou sur celui qui est en difficulté ?

Un argument souvent utilisé est alors d'accuser les entreprises de notation de créer ces difficultés. Cependant, si elles peuvent être à l'origine d'un mouvement d'entrainement de baisse des cours ou de méfiance sur les marchés, étaient-ce les agences de notation qui avaient acheté des titres de subprimes avant 2008 ? Etaient-ce Standard and Poor's, Moody's ou Fitch qui ont emprunté sur les marchés pendant des dizaines d'années pour être endetté à hauteur de 152,315 % en 2011, comme la Grèce (en dette nette par rapport au PIB) ? Non. Alors, faut-il se cacher derrière de belles paroles, une volonté politique de surface de ne pas se laisser « dominer par les marchés » ? Le meilleur moyen d'être moins dépendant de leurs « volontés », c'est d'être raisonnable. Pas de les supprimer.

Dette et déficits : qui a raison ?

Qui a raison ? Qui tapera le plus fort sur l'autre pour gagner la bataille des opinions ? Qui a su gérer la dette française ?
 

A force d'entendre tous les chiffres possibles et inimaginables sur la dette et les déficits français, j'ai eu envie de vérifier par moi-même certaines de ces allégations. Pour cela, j'ai pris des données dites primaires (en l'occurrence, les chiffres relevés par le FMI) et je les ai examinés de près. Je me suis particulièrement intéressé à deux aspects du débat : les déficits publics, et la dette française (nette - en €, et relative au PIB - en %).
 
 
Pour une meilleure compréhension de l'article, je rappelle brièvement les gouvernements successifs de ces trente dernières années :
  • 1981-1984 : Pierre Mauroy (PS)
  • 1984-1986 : Laurent Fabius (PS)
  • 1986-1988 : Jacques Chirac (RPR)
  • 1988-1991 : Michel Rocard (PS)
  • 1991-1992 : Edith Cresson (PS)
  • 1992-1993 : Pierre Bérégovoy (PS)
  • 1993-1995 : Edouard Balladur (RPR)
  • 1995-1997 : Alain Juppé (RPR)
  • 1997-2002 : Lionel Jospin (PS)
  • 2002-2005 : Jean-Pierre Raffarin (UMP)
  • 2005-2007 : Dominique de Villepin (UMP)
  • 2007-  ?  : François Fillon (UMP).

Déficits
 
 
On remarque une corrélation entre la croissance et les déficits publics : ainsi, sous les gouvernements socialistes du deuxième mandat de François Mitterrand, la croissance chute de +4,466 % en 1988 à - 0,817 % en 1993, pendant que les déficits publics augmentent de 2,634 % en 1988 à 6,421 % en 1993. Sur ce point, les trois gouvernements socialistes qui se sont succédés (Michel Rocard - Edith Cresson - Pierre Bérégovoy) n'ont pas été des modèles de vertu à la fois pour le dynamisme de l'économie française et pour une gestion saine des comptes publics.
De même, une croissance élevée (supérieure à 3 %) entre 1998 permet au gouvernement Jospin de diminuer les déficits de l'Etat, alors que la crise de 2008 (chute de la croissance de 2,323 % en 2007 à -2,546 en 2009) entraine mécaniquement une augmentation des déficits publics, qui se creusent jusqu'à 7,742 % en 2010. Signalons toutefois que la croissance n'est pas le seul indicateur à prendre en compte pour expliquer des déficits élevés ou faibles : ainsi, des privatisations (plus de 30 G€ sous le gouvernement Jospin) peuvent diminuer les déficits publics, tandis que des diminutions de recettes fiscales peuvent les augmenter.

 
Dette
 
En ces temps de débats budgétaires, d'empoignades sur la règle d'or et de discours enfumés pour savoir qui est le mieux à même de régler la question de la dette de la France, une affirmation revient souvent dans la bouche de la gauche française : "nous sommes les seuls à avoir diminué la dette depuis 30 ans".
 
Vérifions donc cette affirmation :
  • Entre 1983 et 1986, la dette nette a été multipliée par 2,41
  • Entre 1988 et 1993, la dette nette a été multipliée par 1,78
  • Entre 1997 et 2002, la dette nette a été multipliée par 1,21.
En regardant précisément les chiffres de la dette nette française, on remarque qu'aucun gouvernement socialiste n'a jamais réussi à la diminuer d'une année sur l'autre. Mieux, un seul gouvernement y est arrivé, celui de Dominique de Villepin : de 978,164 G€ en 2005, la dette nette diminue à 974,513 G€ en 2006.
 
Cependant, il est plus commode de considérer la dette en fonction du PIB. Sous cet angle de vue, le poids de la dette diminue trois fois : entre 1986 et 1987 (gouvernement Chirac), entre 1998 et 2000 (gouvernement Jospin), et entre 2005 et 2006 (gouvernement Villepin). Les socialistes ne sont alors pas les seuls à avoir diminué le poids de la dette française.
 
Tentons encore une fois de sauver l'affirmation socialiste : peut-être les socialistes sont-ils les seuls à avoir réduit le poids de la dette, en considérant les cinq années du gouvernement Jospin dans leur ensemble ? Là encore, c'est faux : trois gouvernements ont réduit le poids de la dette :
  • Entre 1986 et 1988, la dette passe de 25,316 % à 24,532 % (soit - 0,784 % pour le gouvernement Chirac, en deux ans)
  • Entre 1997 et 2002, la dette passe de 49,609 % à 49,148 % (soit - 0,461 % pour le gouvernement Jospin, en cinq ans)
  • Entre 2005 et 2007, la dette passe de 56,670 % à 54,080 % (soit - 2,590 % pour le gouvernement Villepin, en deux ans).
Le gouvernement Jospin n'est donc ni le seul vertueux de ces trente dernières années, ni le plus vertueux.

 
Vérifions maintenant une autre affirmation socialiste :

A 0'50" : "Cette dette est passée de 900 millions d'euros à 1,8 milliards d'euros".
Sur cette vidéo officielle du Parti Socialiste (visible ici), il est dit qu'en 10 ans, la droite a fait doubler la dette de la France". Vérifions cela.
Les chiffres donnés par ce porte-parole sont assurément faux : outre le facteur 1000 manquant, la dette s'élevait à 761,077 G€ en 2002 (et non à 900 G€), et à 1565,765 G€ neuf ans plus tard (et non dix ans, et non plus à 1,8 T€). Néanmoins, la "droite" a effectivement doublé la dette depuis le dernier gouvernement socialiste : entre 2002 et 2011, elle a été multipliée par 2,06.
 
Depuis 1984, la dette nette vient pour 346 milliards d'euros des gouvernements de gauche et pour 1136 milliards d'euros des gouvernements de droite (dont 573 milliards d'euros - 50,41 % - pour le gouvernement Fillon).

 
Au final, qui a plutôt été vertueux pour maintenir un déficit bas ou pour assainir les comptes publics ?
En regardant les données présentées ci-dessus, on peut donner des bons points à quatre gouvernements :
  • Les gouvernements Chirac, Jospin et Villepin pour avoir maintenu un poids de la dette constant (notons néanmoins que le gouvernement Jospin a augmenté la dette nette)
  • Le gouvernement Juppé pour avoir redressé une situation désastreuse des gouvernements précédents.
De même, on peut désigner les trois plus mauvais gouvernements dans la gestion des déficits et de la dette publique : les gouvernements Cresson-Bérégovoy, Balladur et Fillon.

 
La gauche française a-t-elle été vertueuse ? Pendant le second mandat de François Mitterrand, non, et sous le gouvernement Jospin, elle a été raisonnable. La droite française est-elle la cause de l'endettement massif de la France ? Pendant les gouvernements Chirac, Juppé et Villepin, non, mais sous Balladur, Raffarin et Fillon, assurément.

 
En réalité, la situation est donc plus compliquée qu'une opposition simpliste gauche/droite : chaque côté de l'échiquier politique est responsable d'une partie de la dette, mais à des niveaux variables selon les gouvernements. Au lieu de se jeter la pierre, le PS et l'UMP devraient plutôt réfléchir à des mesures concrètes de réduction du déficit sans austérité excessive. Pour cette raison, j'approuve la règle d'or proposée par l'UMP : il faut regarder l'avenir et ne plus commettre les mêmes erreurs.
 
J'entends bien les arguments du Parti Socialistes ou d'autres partis de gauche et d'extrême-gauche, et je trouve aussi que Nicolas Sarkozy est très loin d'être un exemple de vertu pour une gestion raisonnable des comptes publics. Cependant, les erreurs commises dans le passé (et certaines encore dans le présent) justifient-elles une opposition de la gauche qui n'est ici qu'idéologique ? Au fond, de quoi les socialistes ont-ils peur ? De devoir revoir leur projet pour 2012 afin qu'il soit enfin économiquement viable ? Cela ne pourrait que faire du bien, au Parti Socialiste et à la France.

 
Notes : vous pouvez retrouver le document du FMI ici. Les graphiques sont de ma conception. 1 G€ = 1 milliard d'euros. 1 T€ = 1 000 milliards d'euros.

jeudi 16 juin 2011

CAS : La voiture de demain

Hier matin, j'étais au Centre d'Analyse Stratégique (CAS), institution d'expertise et d'aide à la décision placée auprès du Premier ministre. Au programme, un rapport sur « La voiture de demain » était présenté, accompagné de quelques réflexions et propositions sur l'avenir des voitures thermiques, hybrides ou électriques actuelles.


Le postulat de départ est simple : le prix du pétrole va fatalement augmenter dans les prochaines décennies pendant que l'offre va diminuer, de nouveaux marchés pour l'automobile vont se consolider dans les pays émergents, et les émissions de gaz à effet de serre et autres polluants devront être limités. D'autres problèmes risquent alors d'apparaitre, comme les embouteillages monstres déjà présents en Chine, ou un besoin accru d'infrastructures.

Le modèle actuellement présent dans les pays occidentaux n'est pas exportable dans les pays émergents. Le rapport à la voiture doit alors être modifié, pendant que les véhicules doivent être améliorés. Des véhicules électriques ou hybrides sont régulièrement envisagés, mais il est actuellement impossible de développer massivement l'offre.

Les batteries électriques sont peu autonomes, le temps de recharge est trop élevé, les infrastructures actuelles ne sont pas suffisantes (oubliez l'image de la voiture branchée à votre 220 V, ça ne tiendrait pas plus de deux heures). Un véhicule uniquement électrique est alors adapté pour des trajets courts, et est idéal dans le cadre de véhicules de fonction comme ceux de la Poste, ou pour des systèmes de partage de voiture comme Autolib'. Cependant, le prix reste très élevé.

D'ici l'arrivée de nouvelles technologies de batteries, les véhicules thermiques doivent être améliorés, et électrifiés pour engager la transformation. Ainsi, les batteries peuvent être rechargées lors du freinage, afin de récupérer ce surplus d'énergie.

Le CAS a finalement formulé six propositions :
  • Modifier les méthodes réglementaires de mesure des consommations énergétiques et des émissions de CO2 afin qu'elles soient plus représentatives de l'utilisation réelle des véhicules
  • Poursuivre les efforts d'amélioration de l'efficacité énergétiques des véhicules à moteur thermique par un durcissement de la réglementation
  • Obliger les constructeurs à doter les véhicules neufs d'un dispositif coupant automatiquement le moteur lorsque le véhicule est à l'arrêt
  • Réduire le stationnement résidentiel en augmentant progressivement son tarif
  • Finaliser sans tarder les normes que doivent respecter les bornes de recharge pour garantir la sécurité des installations
  • Renforcer progressivement l'incitation à l'achat de véhicules neufs peu polluants.

A mon avis, les principales mesures à adopter concernent de nouvelles normes européennes pour fixer des cadres stables de développement. Ainsi, les cycles de conduite ne sont pas adaptés à l'usage réel d'un véhicule électrique ; ou encore, les recherches de nouveaux modèles de batteries ne sont pas coordonnées.

Pour la petite anecdote, il existe déjà un système de bonus/malus au niveau européen pour inciter les constructeurs automobiles à vendre des voitures moins polluantes. L'émission moyenne de CO2 par km est calculée, et des pénalités sont appliquées quand elle dépasse les 130 g/km. Avec une spécificité intéressante : un véhicule très peu polluant (moins de 40 g/km, comme les voitures électriques) compte pour 3,5 dans la moyenne.

Prenons en exemple deux constructeurs qui vendent en 2012 un million de véhicules, avec une concentration moyenne en CO2 de 140 g/km. Le premier constructeur paiera une prime de 710 millions d'euros pour dépassement du seuil autorisé. Au contraire, le deuxième constructeur, qui aura eu la bonne idée de vendre 10 000 véhicules électriques en plus, aura une prime à payer de seulement 39 millions d'euros. Soit un gain de 671 millions d'euros, ou 70 000 € par voiture électrique.

Au final, ce système favorisera les constructeurs qui vendront peu de véhicules propres, tandis que ceux qui essaient de diminuer la pollution de tout leur parc immobilier seront moins récompensés.

OGM : faut-il faucher ?

Pour aujourd'hui, je voudrais revenir sur un des nombreux sujets chers aux écologistes, les OGM (pour Organismes Génétiquement Modifiés). Cette notion regroupe les organismes, souvent végétaux et parfois animaux, dont le patrimoine génétique a été sélectionné ou modifié.


Le début de l'étude des OGM remonte aux travaux de Mendel puis de Morgan, qui ont démontré puis découvert l'existence de gènes susceptibles de déterminer certaines caractéristiques des êtres vivants. La couleur des petits pois, des yeux des mouches Drosophile, ou des tomates de supermarché peut ainsi être déterminée et sélectionnée à l'avance. Comme tout progrès technologique, il est alors incompris, et bridé par les peurs des immobilistes.

Les écologistes actuels pointent principalement trois problèmes sur les OGM. Déjà, la présence d'OGM dans les champs présente un risque de dissémination des graines et pollens dans les champs voisins. Le risque est alors de voir certaines variétés potentiellement nuisibles, dangereuses ou résistantes se répandre sans contrôle dans la nature. D'où le deuxième problème : les OGM mettent la biodiversité en danger. Ainsi, en remplaçant certaines espèces moins résistantes, la sélection naturelle est si mal faite que certaines espèces risquent de disparaitre.

Le troisième problème, sans doute le plus important à mes yeux, concerne un potentiel risque sanitaire. A l'heure actuelle, peu d'études ont été menées sur les effets à moyen et long termes des OGM sur le corps humains ou le bétail. Alors qu'aucune preuve formelle n'a été trouvée, un rapport croit démontrer, par une étude sur des expériences déjà existantes, que les OGM augmenteraient des problèmes de rein et de foie. L'article informe ainsi que le rapport « soulève la question de l'interprétation » des résultats statistiques trouvés.

Les preuves sur la dangerosité réelle des OGM sont donc faibles. Pour autant, je préconise d'appliquer le principe de précaution sur la vente et l'importation de semences ou produits à base d'OGM. Pour moi, le consommateur européen ne doit pas être soumis à un risque potentiel pour sa santé. Pour ça, tout contact direct doit être évité jusqu'à ce que des études plus poussées aient eu lieu.

Pour cela, il faut donc encourager la recherche sur cette question. Il ne s'agit pas de subventionner Monsanto pour qu'il loue son propre fonds de commerce, mais de mener des expérimentations sérieuses. La transparence est la condition nécessaire à l'acceptation d'un progrès technologique par la population : si des catégories d'OGM sont de nouveau autorisées, je suis ainsi favorable à l'étiquetage systématique de la présence d'OGM, même lorsque la concentration ne dépasse pas le seuil réglementaire de 0,9% appliqué en France.


Rappelons qu'en France, un moratoire a été voté en février 2008. L'évolution législative, et la mise en application du principe de précaution, est souvent attribuée à l'action des Faucheurs Volontaires, dont José Bové et Noël Mamère sont sans doute les figures les plus emblématiques. Ainsi, de nombreux collectifs ont vu le jour en France, dont le but est de participer à des actions médiatisées d'arrachage de plants OGM.

La méthode du fauchage n'est pas idéale, à mon goût. Déjà, la méthode peut être critiquée : plus que de la désobéissance civile, il s'agit alors d'une atteinte à la Loi. Et contrairement à ce que disent Les Verts, qui imposent à leurs parlementaires et militants « d’opter pour la désobéissance civile comme forme de combat non-violent », je ne pense pas que ce soit si pacifique. Des affrontements avec les forces de l'ordre ou avec les agriculteurs sont souvent prévus, et la méthode est en elle-même assez radicale.

D'autres parts, les revendications de ces mouvements sont souvent faussées : ainsi, la lutte contre le productivisme et le dépôt de brevets sur les semences est au cœur des préoccupations des faucheurs. Au fond, il s'agirait d'un mouvement tout gentil pour protéger la planète. Mais en fond, c'est toute une mécanique qui est en place : les collectifs de faucheurs s'arrangent avec la presse pour qu'elle vienne avant la police, collectent de l'argent en organisant des concerts payants, puis font trainer la justice pour faire parler d'eux. L'exacte logique de la société capitalisto-médiatique actuelle, donc.

Le moratoire sur les OGM était, à mon sens, nécessaire. Des fauchages de cultures OGM ont aidé à la mise en place d'une telle mesure. Cependant, des ratés existent. En 2006, José Bové et 85 autres faucheurs détruisent 9 hectares de maïs. Seulement, 25% n'étaient pas des cultures OGM.

Mais le plus scandaleux est à mon sens la destruction de cultures destinées à la recherche. Ainsi, le 5 juin 1999, José Bové et quelques faucheurs arrachent des plants de riz du Cirad (centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). En août 2010, des faucheurs volontaires déterrent et coupent en morceaux 70 plants de vigne de l'Inra (institut scientifique de recherche agronomique) à Colmar. La défense officielle est alors que ces « champs d’expérimentation d’OGM sont le premier pas d’une démarche commerciale visant à imposer des cultures actuellement non autorisées ». Est-ce vraiment l'intérêt de la recherche agronomique ?



A mes yeux, les faucheurs volontaires s'inscrivent dans cette mouvance extrémiste de l'écologie associative, qui refuse l'option politique pour convaincre la société. Je crois fermement au progrès technique, et la recherche ne doit pas être limitée, surtout pas par quelques obscurantistes qui voudraient presque retourner à un hypothétique état de nature. Il existe des risques, ils doivent être limités. Mais s'opposer à tout n'est pas une bonne solution.

lundi 13 juin 2011

Lettre ouverte : demande d'explication de vote pour l'ouverture du mariage pour tous

Ceci est la copie d'un mail que je viens d'envoyer à Gilles Carrez, député UMP du Val-de-Marne, Rapporteur général de la commission des finances à l'Assemblée Nationale, maire du Perreux-sur-Marne. J'ai ajouté les photos pour pimenter le tout.


Objet : Proposition de loi de M. Patrick Bloche et plusieurs de ses collègues visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe (n°s 586, 3462)



Monsieur le député Gilles Carrez,


Suite au dépôt d'une proposition de loi par le groupe SRC sur l'ouverture du mariage pour tous, et sa première discussion le jeudi 9 juin 2011 (compte-rendu intégral sur http://bit.ly/ine1Mw), je me permets de vous écrire pour obtenir de plus amples informations sur votre position à ce sujet.

Le 13 octobre 1999, vous aviez voté contre la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité en lecture définitive. Depuis, son efficacité semble avoir été démontrée, et le danger que le PACS devait représenter est inexistant. Pourtant, de nombreux députés de la majorité semblent vouloir suivre la décision du gouvernement, portée par le garde des sceaux Michel Mercier, de voter contre la proposition de loi débattue jeudi dernier.

Je ne reviendrais pas sur les arguments développés par les deux parties. Je reviendrai seulement sur la rupture d'égalité qui existe aujourd'hui entre certains citoyens, et de l'insécurité juridique engendrée par certaines situations que le PACS ne prévoit pas (prestations sociales, décès du conjoint...). Le débat est aujourd'hui vif entre l'opposition et la majorité, et trop souvent empli de dogmes et de clichés, des deux côtés.

J'ai suivi, dans la nuit de vendredi à samedi, vos interventions sur le projet de loi de finances rectificative pour 2011. J'ai reconnu un député actif, travailleur, sérieux, compétent, et capable de discuter avec le gouvernement et son groupe parlementaire de ses différences. J'ai vu un député capable de soutenir des amendements de l'opposition. J'ai retrouvé un député capable de discuter sereinement avec l'opposition, et de reconnaître ses bonnes initiatives.

Dans les prochains jours, vous aurez l'occasion de faire preuve de courage politique. Vous aurez l'occasion d'affirmer vos véritables convictions, et de voter par choix plutôt que par devoir. Mais vous aurez aussi l'occasion d'envoyer un signe fort à votre électorat, et à ceux qui vous soutiennent ou soutiennent l'UMP. Habitant au Perreux, j'ai souvent l'occasion de parler avec mes voisins, mes amis, ma famille, ainsi qu'avec d'autres militants ou sympathisants UMP. Etant moi-même à République Solidaire, je suis naturellement poussé à voter pour votre candidature en 2012, et à la soutenir. Seulement, un bon député se reconnaît par ses choix motivés par ses convictions, et non par le suivi aveugle des consignes de vote.

Des précédents existent : en 1999, Roselyne Bachelot avait voté en faveur du PACS. Depuis, elle est devenue ministre. En 2011, Franck Riester votera pour la proposition de loi du groupe SRC. Sur les réseaux sociaux, son nom est cité en exemple, et il est devenu le symbole de cette minorité à l'UMP qui peut encore relever l'image de la droite pour 2012.


Monsieur le député, l'exaspération des électeurs envers une droite trop conservatrice, trop ancrée dans ses dogmes, se répercute pendant les élections. Aux dernières élections cantonales, la gauche a dépassé les 40%, pendant que l'extrême-droite progressait. Votre voix doit être connue, et doit être juste. C'est pourquoi je me permets de vous envoyer ce courriel, afin de connaître votre avis sur cette proposition de loi, et plus généralement votre avis sur le mariage pour tous.

Sachant pouvoir compter sur vous, je vous prie d’agréer, Monsieur le député, mes salutations distinguées et respectueuses.

samedi 11 juin 2011

Projet RS : TVA 3E

Depuis trente ans, la France a perdu près de deux millions d'emplois industriels. Dans les secteurs où elle apparaissait auparavant comme compétente, l'heure est à l'implantation durable dans des pays où la production est plus compétitive. La Chine, avec d'autres pays asiatiques, a tous les avantages requis : main d'œuvre docile et bon marché, taxes faibles, normes environnementales quasi-inexistantes.

Les conséquences dans les pays européens, et particulièrement en France, sont visibles : essayez de trouver un seul T-shirt « made in France » ! Plus globalement, la balance commerciale de la France en souffre : en 2009, nous avons exporté pour 340,9 milliards d'euros et importé pour 399,8 milliards d'euros, soit un déficit de 58,9 milliards d'euros (-51,283 milliards de dollars, d'après le FMI). La Chine, elle, est devenue en 2009 le premier exportateur mondial, avec une balance commerciale en 2010 excédentaire de 297,142 milliards de dollars, et une prévision de 873,936 milliards de dollars pour 2016 (d'après le FMI).


Relocaliser les emplois en France, en garantissant des normes sociales et environnementales équitables, est soumis à trois impératifs. Déjà, les produits français ne doivent pas coûter plus cher que les produits fabriqués à l'étranger. Ensuite, le prix de ce qui ne peut être produit en France ne doit pas être impacté. Enfin, le principe d'avantages/inconvénients mis en place doit être modulable et transparent.

C'est pourquoi République Solidaire propose une TVA 3E, pour Emploi, Exportation, Environnement. L'idée serait de remplacer la TVA actuelle par une taxe flottante, comprise entre 19,6 % et 24,6 %. Le taux serait alors modulé en fonction du respect des normes environnementales à la production, de l'équité sociale dans l'entreprise, du lieu de production.

Pour compenser cette hausse substantielle des prix, une baisse des charges sur les entreprises (et donc sur l'emploi et les coûts de production ou de vente), de quatre points, est prévue par le projet de République Solidaire. Ainsi, un transfert indirect des taxes des seules entreprises françaises vers toutes les entreprises vendant leurs produits en France peut permettre à nos entreprises nationales d'être plus compétitives, et au consommateur d'être moins aveugle dans ses décisions d'achats.


Cependant, une objection de taille peut être faite : la TVA est une taxe dont le poids est inversement proportionnel à la richesse. En cru, un pauvre paie plus qu'un riche au regard de son salaire. A cette remarque, deux réponses peuvent être apportées.

Le première revient sur le principe de la TVA 3E. Le but est en effet de favoriser la production française éco-responsable, socio-responsable. Ainsi, le consommateur est responsabilisé sur ses choix, dont il assume les conséquences. Acheter le dernier iPad, ça fait plaisir au premier Steve Jobs fan venu, mais pas à l'environnement ni à l'emploi français : Apple est classé à 5/10 sur l'échelle de Greenpeace, et la production est localisée en Chine, ou en Caroline du Nord pour son électricité peu chère car venant du charbon. Le client gardera alors toujours le choix d'acheter le même produit (tablette Archos par exemple) au taux de 19,6%, donc identique à aujourd'hui.

La deuxième réponse est concrète : elle consiste en une TVA réduite sur les produits de première nécessité. Parce que tous les Français doivent se nourrir (notamment), une TVA réduite à 5,5 % serait mise en place sur cette catégorie de produits. Ainsi, l'impact sur les catégories sociales les plus défavorisées serait moindre.

Cette TVA 3E me parait être une mesure réaliste et efficace pour favoriser l'emploi, la qualité des produits et les exportations françaises. Ainsi, des droits de douanes indirects et mieux justifiés seraient mis en place, sans pour autant tomber dans les illusions des souverainistes : eux voudraient fermer les frontières ou instaurer des droits de passage systématiques, en violation des règles internationales. C'est pourquoi je soutiens cette proposition.

mardi 7 juin 2011

Appel à témoignages : quotas dans les entreprises

Vous êtes sympathisant ou militant politique ?
Vous connaissez les propositions des partis ou mouvements politiques français sur les quotas en entreprise ?
Vous souhaitez défendre vos convictions ou critiquer les propositions des autres ?
Vous pensez avoir une autre vision (ça, c'est pour m'inclure) ?

Alors, contactez-moi, ou répondez en commentaire, et donnez votre avis ou celui des autres sur ce sujet !


De nombreuses disparités existent aujourd'hui en France pour l'emploi. Egalité homme/femme, taux d'emploi des jeunes et des séniors, insertion des handicapés, représentation des « minorités visibles », discrimination par l'orientation sexuelle, la religion, le lieu de domicile... Pour combler ces inégalités, la mise en place de quotas est parfois proposée.

Un autre type de quotas...

Qu'en pensez-vous ? Bonne mesure ou simple soin palliatif ? Trop restrictif ou inapplicable ? Exprimez-vous, je ferai bientôt un bilan de tous ce que j'aurai pu entendre.

dimanche 5 juin 2011

Projet RS : favoriser les péages urbains

La voiture pollue, la voiture encombre, la voiture est dangereuse, la voiture fait du bruit... La voiture est aujourd'hui indésirable dans les centres-villes. Imaginez une ville sans voitures, où vous pourriez louer un véhicule électrique pour aller faire vos courses, prendre votre vélo pour aller au travail, prendre le train pour partir en vacances. En bref, une ville semblable à une belle maquette d'architecte, avec les petits arbres et les petits bonhommes dans des rues toute propres.

Pour réduire le trafic automobile, l'un des moyens utilisé dans certaines villes européennes est le péage urbain. Deux idées sont regroupées sous cette dénomination : soit on peut faire payer les véhicules passant les limites de la zone, soit on peut interdire l'accès de la zone à certains véhicules. Le principe est déjà largement utilisé, notamment à Singapour, Oslo, Rome, Milan, Londres, Stockholm, Cologne, Berlin, Hanovre.


En France, la loi Grenelle II prévoit le test d'un péage urbain par les agglomérations de plus de 300 000 habitants pendant une durée de trois ans. Dans son projet, République Solidaire prévoit d'ouvrir « la possibilité de créer pour les très grandes agglomérations des dispositifs de péages urbains, assorties de conditions d’équité strictes ».

Je pense que le péage urbain est une mesure d'avenir, pour permettre un changement des mentalités et une prise de conscience de la population. Cependant, un travail de pédagogie est nécessaire pour faire accepter cette disposition, alors que 67% des automobilistes y sont défavorables. Il faut que le projet soit simple et progressif, que les recettes soient dédiées aux transports alternatifs, et que l'équité sociale soit respectée.

Les types de péages urbains doivent être adaptés aux situations des agglomérations. Ainsi, en région parisienne, la congestion est le principal problème, et les transports en commun sont plutôt bien développés. Un péage de zone, avec une tarification forte et modulée, peut alors être envisagé. A Grenoble, où la pollution est problématique, un péage environnement peut être mis en place, avec une tarification fortement modulée selon la pollution du véhicule.

Le projet de République Solidaire prévoit de permettre l'instauration de tels péages. Afin de ne pas faire face à une explosion des prix, ceux-ci seraient encadrés par la Loi. Je pense que c'est aux communes et agglomérations de faire désormais leur choix. Pour cela, je pense qu'il faut cet accompagnement législatif, et je soutiens en ce sens la proposition de République Solidaire.


A lire : le rapport très intéressant de 153 pages du Centre d'analyse stratégique sur le péage urbain.

samedi 4 juin 2011

Gestion de l'eau : partenariats public/privé ou régies publiques ?

Avant de lire cet article et de me demander mes sources, je vous conseille de regarder le film Water Makes Money, de Leslie Franke et Herdolor Lorenz, produit en collaboration avec Arte. Mais tout peut être compris sans l'avoir vu, je vous rassure.

Doit-on privilégier la place des entreprises françaises dans les marchés mondiaux, ou le pouvoir d'achat des clients ? Voilà une question assez existentielle, qui se pose, de manière générale, à chaque privatisation de service public.

Jusqu'au début des années 1980, le modèle gaulliste voulait privilégier un partenariat gagnant-gagnant entre les entreprises et les citoyens. Les transports, l'énergie, l'eau, les télécom, l'audiovisuel étaient gérés par l'Etat et les municipalités, dans le souci de fournir au citoyen, pas encore considéré comme un client, un service optimal en qualité et en coût.


L'autre jour, je parlais du TGV avec un quinquagénaire. Il me raconta alors qu'au début des années 1980, il pouvait faire un aller-retour Marseille-Paris pour 10 francs. Aujourd'hui, les prix se situent entre 90 € et 360 €. La qualité de service a-t-elle donc tant augmenté pour qu'on puisse justifier une multiplication du prix par 60 ? L'inflation n'explique pas tout !


Tout a donc changé. A la faveur de privatisations massives depuis le gouvernement Chirac en 1988, la France a peu à peu perdu ses principales entreprises publiques. Sous la pression des investisseurs et de la Bourse, des emplois ont alors été supprimés, des services non rentables abandonnés, pendant que l'offre sur les services les plus en vue s'enrichissait.

Un bon exemple est de regarder la situation des télécom. Pendant que France Télécom - Orange est en proie à des cas de suicides chez ses employés, et que les zones rurales sont encore souvent en zone non dégroupée pour l'accès à Internet, on me propose pas moins de 45 offres différentes en banlieue parisienne !

A première vue, les privatisations sont le meilleur moyen de nuire au consommateur : baisse de la qualité, recherche de rentabilité, augmentation des prix, mauvaise répartition des bénéfices au profit de méchants capitalistes. Alors, pourquoi les gouvernements successifs ont-ils tous, depuis 23 ans, tant privatisé ?

Les raisons souvent invoquées sont le virage idéologique contre les nationalisations, le désengagement de l'Etat, la diminution des coûts en salaires de fonctionnaires, le respect de règlements européens sur la libre-concurrence, la recherche de liquidités. L'évolution des modes de distribution de l'eau est typique de ce symptôme.


Auparavant, l'eau était gérée par des régies publiques (RP), dépendant directement des conseils municipaux. Depuis, des entreprises privées, dont GDF-Suez et Veolia, se partagent l'attribution de partenariats public-privé (PPP).

Contrairement à leur nom, les PPP donnent toute liberté aux entreprises privées. Ces dernières gèrent le réseau, fixent les prix, et distribuent l'eau. La municipalité se contente de louer les infrastructures, obtenant en contrepartie certains avantages financier qui peuvent vite se révéler dangereux (cf. Water Makes Money).

La tentation est grande pour les entreprises d'en profiter, et Jean-Luc Touly, ancien cadre chez Veolia, le dénonce : pourquoi réparer les fuites (qui représentent en moyenne 14% de la consommation d'eau dans les PPP, contre 7% pour les RP) quand l'eau gâchée est facturée en plus au client ?

Certes, ces entreprises diront que le récent retour de la ville de Paris à des régies publiques nuit à leur image internationale. Des municipalités étrangères leur demanderaient même comment elles veulent gagner l'attribution d'un marché public alors même qu'elles sont indésirables chez elles. Mais cette logique doit-elle tolérer tous les abus actuels ?

Je pense qu'une autre solution doit être envisagée. Les entreprises privées sont nécessaires pour créer des emplois qualifiés et bien payés. Mais les municipalités sont plus concernées par l'intérêt de leurs concitoyens. Je propose donc un nouveau type de partenariat : le privé au service du public.

Il s'agirait tout simplement de laisser la gestion du parc aquatique aux actuelles entreprises ou régies publiques, mais en l'encadrant mieux. Il serait alors opportun de fixer des contraintes de prix, de qualité de l'eau et d'entretien du réseau. Les conséquences seraient globalement infimes pour les régies publiques, et favorables aux clients des PPP actuels. Les entreprises privées conserveraient alors une bonne image à l'international, même s'il se pourrait qu'elles distribuent moins de dividendes à ses actionnaires. Ce qui, au fond, ne serait qu'un juste retour des choses.

Pour information :

  • Traditionnellement, la gauche française préfère les régies publiques, tandis que la droite française favorise les partenariats public-privé.
  • Des initiatives ont déjà été lancées pour revenir aux régies publiques (« remunicipalisation »), comme à Grenoble, ou à Paris sous l'impulsion du maire Bertrand Delanoë.
  • L'attribution de la gestion locale de l'eau par un PPP se fait par un contrat de partenariat de 10 à 35 ans.
  • En Ile-de-France, la gestion est regroupée pour 142 communes, sous l'autorité du Syndicat des Eaux D'Ile-de-France (SEDIF). Le contrat avec Veolia a été renouvelé en 2011, pour une durée de 12 ans.
  • Veolia réalise 12,128 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an dans le secteur de l'eau, ce qui en fait le numéro 1 mondial des services de l'eau. Suez Environnement (eau et déchets) réalise un chiffre d'affaire de 13,869 milliards d'euros par an.

vendredi 3 juin 2011

Projet RS : dix ministères fixes

Partons d'un constat : depuis trop longtemps, le nombre de ministres et secrétaires d'Etat ne cesse de croître, pour atteindre aujourd'hui 23 ministres et 7 secrétaires d'Etat. Avec, pour conséquence, un brouillage de l'action et de la visibilité politique. Alors que les ministres principaux, tels MM. Fillon, Juppé ou Guéant, sont bien connus, des sous-secrétaires d'Etat restent totalement invisibles dans le paysage politique français. Qui peut me donner l'intitulé exact du ministère d'Henri de Raincourt, ou le nom du secrétariat d'Etat de Frédéric Lefebvre (sans tricher) ?


C'est pourquoi République Solidaire propose de fixer dix grands ministères, et de les inscrire dans le marbre de la Constitution. Des compétences peuvent être regroupées, pour pouvoir réagir plus globalement, plus rapidement, plus efficacement. Il faut éviter de disperser les talents, si rares, et les services, déjà si complexes. En instituant des ministères fixes, la tentation de créer de nouveaux postes pour flatter les courtisans ou les électeurs disparaîtra. Ainsi, un Premier Ministre ne pourra plus créer de ministère de l'Identité Nationale, ou du Temps Libre !

Alors, quels ministères garder ? Huit me paraissent déjà nécessaires, et suffisant a priori : Affaires Etrangères, Défense, Finances, Intérieur, Justice, Education Nationale, Affaires Sociales, Territoires. Avec ces huit ministères républicains, l'Etat fonctionnerait sans doute mieux, avec une vision plus large, plus pérenne, plus réactive. Une autre Vision, en somme.

Pour rappel, Nicolas Sarkozy avait proposé, en 2007, lors de la campagne présidentielle, de limiter le nombre de ministres à quinze. Après un premier gouvernement qui respectait cette règle (ainsi que celle de la parité, en passant), la situation a dérapé. Avec l'inscription de la limite des dix ministères dans la Constitution, cette proposition ne pourra qu'être tenue !

lundi 30 mai 2011

Internet, terre de libertés... Et d'excès

Non, cet article ne parlera pas du sujet ultra-classique du « Internet, c'est bien parce qu'on peut tout faire, mais c'est pas bien parce qu'il y a du téléchargement illégal ». Par contre, cet article parlera d'une nouvelle pratique très lucrative sur le net, les « chasseurs de primes ». Ce papier du Monde nous rappelle la pratique.

Aujourd'hui, un constat s'impose aux yeux de l'industrie du disque, et dans une moindre mesure de la télévision, du cinéma et des jeux vidéo. Pendant qu'Internet ouvrait de nouveaux accès à la « culture », les bénéfices de certaines entreprises baissaient. Un lien a hâtivement été établi, l'occasion étant trop belle pour justifier le manque de renouvellement du secteur.

Comment enrayer le nombre croissants de téléchargements gratuits (pas tous illégaux, en passant) en espérant que les ventes remonteront ? Comme souvent aux Etats-Unis, la solution passe par la justice. L'idée est simple, attaquer les méchants internautes.

On distingue alors deux situations typiques : les poursuites judiciaires à caractère exemplaire, et les arrangements purement lucratifs. Les premières sont principalement menées par la RIAA (Recording Industry Association of America), tandis que les seconds font le bonheur des cabinets d'avocats privés.
La RIAA regroupe les principaux acteurs de l'industrie américaine du disque. Super-lobby, elle s'occupe aujourd'hui de la création, de l'enregistrement, de la distribution de 90% des enregistrements audio légaux des Etats-Unis. Mais surtout, c'est elle qui s'occupe de protéger la propriété intellectuelle en attaquant systématiquement en justice tous les fraudeurs.

Avec une des dernières lois américaines sur le sujet, The Digital Theft Deterrence and Copyright Damages Improvement Act de 1999, et avec le cumul des peines, l'utilisateur ayant eu le malheur d'être repéré risque entre 750 et 30 000 dollars par œuvre obtenue illégalement, et entre 750 et 150 000 dollars s'il l'a obtenu « volontairement ». S'il est condamné, le prix par œuvre est alors fixé dans ces fourchettes, par un jury populaire ou par un juge.

Deux affaires sont restées célèbres pour la démesure de leur condamnation. En juillet 2009, Joel Tenenbaum est condamné à payer 675 000 dollars pour le téléchargement de 30 titres (soit 22 500 dollars pour du Nirvana, Eminem ou Green Day). En 2010, Jammie Thomas se voit réclamer 1,92 millions de dollars après un premier jugement, après le téléchargement de 24 titres (dont du Aerosmith, ou encore du Green Day, à 80 000 dollars chacun).

Ces procédures ont pour but de décourager les internautes les plus peureux, en faisant de quelques cas isolés des exemples très médiatisés. Ces procès sont longs, et très coûteux pour l'industrie du disque, mais elles espèrent gagner sur le terrain de la peur.

Les sommes astronomiques obtenues par la RIAA a suscité des vocations. Des avocats ont alors repris l'idée, en jouant là-encore sur la peur. Après avoir découvert un internaute délinquant et avoir obtenu son identité par son Fournisseur d'Accès à Internet, un marché est proposé : soit le fraudeur paie 1 500 dollars immédiatement sur le site Internet du cabinet d'avocats, soit le cabinet d'avocat engage des poursuites judiciaires contre le méchant.

Un chantage psychologiquee se met alors en place. Un procès est long, coûteux, et surtout visible. L'industrie de la pornographie l'a bien compris, et menace ainsi n'importe qui, pourvu qu'il puisse avoir de la famille, des amis, ou des collègues que de telles révélations pourraient choquer.

Ce racket légalisé des internautes est l'enfant d'un mariage heureux entre des avocats avides de profits et des entreprises qui ne refuseraient pas un petit complément de revenus. A chaque transaction, une part du bénéfice revient ainsi à la société. Si l'accusé hésite, une offre de 2 500 dollars est proposée pendant quelques semaines. Le délai expiré, une plainte contre « X » est déposée.

Le cabinet US Copyright Group (UCSG - pour ne pas le confondre avec US Coast Guard) illustre parfaitement ces nouvelles pratiques. Après une première opération contre 16 000 personnes en septembre 2010 puis quelques petits arrangements avec quelques petits milliers d'Américains, la dernière action fait mouche : 23 322 internautes détectés comme solvables viennent d'être contactés, après leur téléchargement du film The Expendables. Avec, à la clé, une prime substantielle de plus de 35 millions de dollars pour les avocats.

En France, la situation est différente, même si elle risque vite de se rapprocher de l'américaine. Depuis la loi HADOPI 2, seul un juge, contacté par la haute autorité administrative, peut condamner un internaute à titre individuel. Les procédures sont donc longues, rares, à l'inverse des repérages de fraudeurs. Comme aux Etats-Unis, on repère les adeptes du téléchargement illégal en enregistrant les adresses IP sur les sites de partage par peer-to-peer. En France, le travail est confié à la société TMG.


Sur ces pratiques, de nombreuses critiques font jour. Je ne parlerai pas ici du débat sur « Faut-il permettre le téléchargement de tout ? », mais de critiques plus intéressantes.

Aux Etats-Unis, le UCSG est ainsi attaqué par des associations de consommateurs pour harcèlement, et des avocats en profitent pour vendre des formulaires clé-en-main pour contester les courriers reçus. En outre, de nombreux cas de faux signalements ont été déclarés. Face à ces réticences, l'UCSG contre-attaque, là-encore en justice.

En France, la société TMG (pour Trident Media Guard) vient d'être pointée pour des failles de sécurité sur ses serveurs. Des internautes ont ainsi pu accéder à des listes d'adresse IP, ou au code source du logiciel servant à détecter ces adresses IP sur les sites de téléchargement. L'HADOPI a alors annoncé une suspension provisoire de ses liens avec TMG.


A travers toutes ces histoires, où se mêlent intérêts privés, argent, lobbys, et cabinets d'avocats, on est bien loin de l'Internet du bon vieux temps, où une forte communauté soudée n'y voyait rien d'autre qu'un formidable moyen de communication et de diffusion du savoir. Alors que « Justin & Beliebers » est en tête des mots les plus employés sur Twitter, comment faire comprendre aux utilisateurs qu'ils doivent se battre pour préserver ce qui devrait aujourd'hui être reconnu comme une liberté fondamentale ?


Et en bonus : l'interview de quelques députés pendant les discussions sur le projet de loi HADOPI. Mention spéciale à Jean-Pierre Grand : même à République Solidaire, nos députés ont du mal avec les nouvelles technologies !