lundi 29 août 2011

Non, non, rien n'a changé

A défaut d'actualité intéressante en ces temps de vacances de ministres et d'université d'été du Parti Socialiste, j'ai eu l'idée de relire quelques vieux journaux datant de fin 2005, et que je conserve précieusement dans un placard. Voyons les titres.


Jeudi 17 novembre 2005 : « L'UMP voit un rapport entre violences urbaines et polygamie »

Après les émeutes du début du mois de novembre, le gouvernement, et en premier lieu son ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, essaie d'expliquer les dérapages en banlieue. A 18 mois de l'élection présidentielle de 2007, l'UMP poursuit alors sa stratégie de droitisation de sa ligne et de conquête de l'électorat frontiste.


Ainsi, Gérard Larcher, alors ministre de l'Emploi (et actuellement président du Sénat), déclare que la polygamie est « l'une des causes des violences urbaines ». Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale (et actuellement président de cette même assemblée), précisait que « cela pose des problèmes de logement », car « on ne peut pas vivre à plusieurs dans un appartement ». On parlait alors de 30 000 familles polygames.

Comme quoi, la politique du bouc-émissaire n'est pas nouvelle, et l'affaire Liès Hebbadj - musulman radical et polygame dont la femme voilée avait été arrêtée au volant en 2010 - n'est finalement qu'un écho des répétitions de l'Histoire.


Lundi 12 décembre 2005 : « Les extraits de naissance disponibles sur le Net »

Le ministre délégué à la Réforme de l'Etat, Jean-François Copé (actuellement secrétaire général de l'UMP) annonce que « 2006 sera l'année clé de l'administration électronique ». Une simplification des demandes est ainsi prévue grâce à Internet, notamment avec la télédéclaration des impôts. L'objectif affiché est alors de « permettre aux Français d'effectuer toutes leurs démarches administratives sans se déplacer, et 24h/24 ».


Quand on voit le temps qu'il faut aujourd'hui pour qu'une administration publique envoie un papier, on remercie gentiment Jean-François Copé. Cf ma notification conditionnelle de bourse que j'attends depuis un mois et demi.


Lundi 12 décembre 2005 : « Le PS doit faire sa révolution »

Quelques jours après la clôture du congrès du Mans du Parti Socialiste, Arnaud Montebourg revient, dans une interview au journal gratuit 20 Minutes, sur sa création de son nouveau courant : « Rénover maintenant ». VIème République, lutte contre les délocalisations, emploi, banlieues, les thèmes sont les mêmes qu'aujourd'hui. Arnaud Montebourg exhorte ainsi les socialistes à « faire leur révolution pour affronter la mondialisation ». On remarquera au passage qu'à l'époque, il ne s'agissait pas de s'en détourner.


Arnaud Montebourg revient également sur les condamnations consécutives aux émeutes en banlieue, en relativisant leur nécessité devant « l'enterrement des affaires de délinquance en col blanc ».


L'actualité est presque identique six ans plus tard. Finalement, pourquoi suivre l'actualité quand il suffit de retrouver de vieux journaux ?



Ah, si, un petit changement en six ans : en 2005, on pouvait encore lire le titre « Nicolas Sarkozy de plus en plus haut dans les sondages » (20 Minutes du 17 novembre). Plus maintenant.

dimanche 28 août 2011

FAI : Retour vers le passé

J'ai eu accès à Internet chez moi pour la première fois en 1998. J'étais petit, on avait notre premier PC (avec 1,5 Go de disque dur, la claaasse !), on était émerveillé par Lycos, jouer au Solitaire sous Windows 95 relevait du prodige, il fallait 48 heures pour une défragmentation... Le bon temps, quoi. A l'époque, nous avions 1 h d'Internet par mois, chez Club-Internet, en très bas débit (pire que du 56k). Et déjà, à l'époque, on commençait à parler de forfaits à 25 heures, 50 heures, voire même 100 heures par mois pour seulement 40 ou 50 euros par mois !

Depuis, France Télécom a été privatisé, et Free, filiale d'Iliad, est arrivé sur le marché (en 2002). Les prix ont été cassés, les débits offerts se sont envolés, l'illimité et le Triple Play (voire le Quadruple Play en ce moment) sont devenus nécessaires pour garder ses clients. Au meilleur moment du changement, lorsque Free attirait de plus en plus de clients, France Télécom perdait 10 000 clients par semaine. Depuis, 38,23 millions de Français ont accès à Internet (71,3 % des plus de 11 ans), dont 34,28 millions en haut débit (89,1% des internautes).

Un article du journal 20 minutes datant de novembre 2005

La norme des abonnements Internet, spécifique à la France, est la suivante : 30 euros par mois pour le téléphone, Internet et la télévision illimités et en haut débit. Malgré quelques disparités territoriales subsistantes et les tentatives du gouvernement de diminuer les bénéfices des FAI (Fournisseurs d'Accès à Internet), les avantages des clients semblent acquis, en attente de l'arrivée de la fibre optique. Seulement, les FAI résisteront-ils à la tentation d'augmenter les prix de manière coordonnée ?

D'après le site owni.fr, des discussions seraient en cours pour mettre fin à cet âge d'or pour les clients de l'Internet illimité. A travers la Fédération Française des Télécom (FFT), les principaux FAI français seraient en train de s'entendre discrètement. Le document de la FFT, datant du 21 juillet dernier, serait ainsi « une réponse à la consultation menée par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) sur la neutralité des réseaux ».

Depuis quelques années, la neutralité du Net est attaquée par certains géants de l'Internet. On peut ainsi citer le blocage de sites de syndicats, de vidéos, d'applications de VoIP (comme Skype), la mise en place de forfaits donnant le droit de consulter exclusivement certains sites (comme Facebook ou Twitter par exemple)... Et dans le cadre de la FFT, les principaux opérateurs français (Orange, SFR, Bouygues Telecom), à l'exception de Free et de Numéricable, semblent désormais vouloir différentier les débits selon l'usage d'Internet ou selon la consommation de bande passante de leurs clients.

La « gestion du trafic » est alors mise sur la table de l'entente cordiale entre les FAI. Ainsi, le document de travail de la FFT prévoit que « pour les applications et services dont les besoins sont moins déterminants, les opérateurs peuvent limiter les flux correspondants et ainsi améliorer l'expérience des consommateurs souhaitant accéder à d'autres types de services ». Pour faire discrètement passer la pilule auprès des clients, les « clauses d'usage raisonnable », déjà mises en place pour certains forfaits mobile, sont vantées : selon l'appréciation du FAI, votre débit peut ainsi diminuer, votre accès à Internet être coupé, parce que vous n'avez pas été « raisonnable ».

Concrètement, cette initiative peut se traduire par une différenciation des forfaits, avec une « segmentation des offres » encore plus importante. Ainsi, différents contrats peuvent être souscrits, et le client paie plus s'il veut utiliser plus de bande passante. L'objectif final est alors de limiter la consommation en bande passante des internautes et d'augmenter au passage les forfaits.

La justification des FAI est primaire : il faut « réduire autant que possible les situations de congestion des réseaux », « garantir la sécurité du réseau et des utilisateurs », assurer « la continuité de service pour l'ensemble des utilisateurs ». De nobles principes, donc, qui seraient assurés par « la réduction de débit au-delà d'un seuil de volume de données consommées », ceci pour « éviter une facturation excessive » imposée au client s'il n'est pas « raisonnable ». Adieu Megavideo, Youtube, Deezer, Twitter, Facebook, Bittorent, la télé sur Internet, vous consommez trop pour nous !

Un publicité pour Cégétel (depuis racheté par SFR) de 2005

A la manière du design retro très en vogue en ce moment, les offres Internet prendraient ainsi un sacré coup de vieux. Avec des forfaits calqués sur ceux pratiqués aux Etats-Unis par certains opérateurs, nous reviendrions en 1998, lorsqu'il fallait compter les minutes passées sur Internet et se mettre hors connexion pour lire ses mails, sinon ça coûtait trop cher. Au final, nous aurions moins d'Internet pour être sûr de ne pas en avoir moins. Logique imparable de la FFT.

Derrière ces raisons affichées se cache un problème plus économique. Alors que le marché de l'Internet a fini son expansion en France et qu'il est désormais difficile pour un FAI d'attirer de nouveaux clients, les opérateurs souhaitent augmenter leurs bénéfices en réduisant leurs investissements. Persuadés que le client ne réagira pas et continuera à payer, les FAI préfèrent ainsi les faire passer à la caisse, plutôt que d'investir dans de nouvelles infrastructures pour développer l'accès à Internet pour tous ou pour répandre le très haut débit avec la fibre optique.


Les politiques et associations de défense des consommateurs ont réagi. L'UFC-Que-Choisir a bien sûr dénoncé ces pratiques « inacceptable », soulignant que de nouvelles offres différentiées ne favoriseraient pas le client. Le gouvernement, par Eric Besson, ministre de l'Economie Numérique, a aussi réagi : « Le gouvernement n'envisage aucune restriction de l'accès à Internet et travaille bien au contraire au développement du très haut débit fixe et mobile sur l'ensemble du territoire et pour l'ensemble des Français ».

Le Parti Socialiste, par l'intermédiaire de son porte-parole Benoît Hamon, s'est aussi opposé à de tels changements.

« Il n'est pas question pour nous que nous acceptions une remise en cause de la neutralité de l'Internet notamment à travers l'accès qui pourrait être limité à un certain nombre de technologies ». La position du Parti Socialiste est donc claire : « C'est pour nous absolument inacceptable ».

Le Front National, par l'intermédiaire d'un communiqué de sa présidente Marine Le Pen, a également réagi : « L’accès à Internet peut être assimilé à un service public. Il n’est pas question d’en rendre le coût prohibitif ou d’en dégrader la qualité de service ».

samedi 27 août 2011

Terra Nova vs. les Grandes Ecoles

Le 23 août dernier, Terra Nova, think tank politique proche du PS, a publié un rapport intitulé « Faire réussir nos étudiants, faire progresser la France : Propositions pour un sursaut vers la société de la connaissance ». Dans ce papier de 97 pages visible ici, la question des Grandes Ecoles, une des nombreuses spécificités françaises, est largement abordée.
Terra Nova commence par reconnaitre l'utilité des Grandes Ecoles dans l'histoire française : pour former des cadres, ingénieurs, hauts fonctionnaires, elles se sont toujours révélées les meilleures structures pour faire face aux défis que la France rencontrait. Industries ferroviaire, aéronautique, aérospatiale, nucléaire sont ainsi citées comme des exemples de l'utilité de ces écoles. Mais ce système est aujourd'hui dépassé selon le think tank de gauche, car il est trop vieux, et pas assez ancré dans la recherche.

Le groupement d'écoles d'ingénieurs ParisTech (Agro, Chimie Paris, Ponts, X, ENSTA, ENSAM, ENSAE, Mines de Paris, SupOptique, Telecom Paris...) est cité : selon Terra Nova, il n'aurait produit que deux prix Nobel, contre 23 pour le Massachusetts Institute of Technology (MIT, Etats-Unis). Outre que je ne sais pas d'où ils ont sorti ces chiffres, il ne faut pas mélanger les Grandes Ecoles et les universités (françaises ou américaines) dont le rôle est fondamentalement différent.

Ainsi, les Grandes Ecoles d'ingénieurs ont pour but premier de former des ingénieurs, et non des chercheurs. La recherche est réservée aux Ecoles Normales Supérieures (Ulm, Cachan, Lyon), qui offrent ensuite des débouchés au CNRS ou pour des places d'enseignant-chercheur des universités. Au contraire, les écoles d'ingénieurs permettent aux étudiants d'acquérir le savoir nécessaire à leur futur professionnel, et s'inscrivent ainsi plus directement, dans l'esprit, dans la lignée du lycée et des classes préparatoires (avec néanmoins un plus fort ancrage dans le monde de l'entreprise). Va-t-on regretter que nos bacheliers n'aient pas de distinctions internationales ?

Toutefois, les Grandes Ecoles d'ingénieurs ne sont pas totalement absentes de la recherche scientifique. Ainsi, des entreprises n'hésitent pas à demander aux étudiants de ces écoles de réaliser certaines études. De plus, les débouchés dans le monde de la recherche sont nombreux pour certaines écoles, à l'image de l'Ecole Polytechnique (28% de doctorants pour la promotion 2009, sans compter la recherche en entreprise).


Terra Nova revient ensuite sur le mode de sélection des classes préparatoires et des Grandes Ecoles. Ainsi, la réussite serait « mécaniquement » impossible sans « s’orienter dès le plus jeune âge vers les filières les plus sélectives ». Ce « filtrage féroce » permettrait alors de ne sélectionner que ceux qui auraient alors « accès aux classes préparatoires parisiennes et versaillaises ». Outre l'éternel débat sur la reproduction sociale (que je n'aborderai pas ici), cette affirmation est fausse : on ne prépare pas un enfant de maternelle à être ingénieur, et il y a assez de place dans les classes préparatoires parisiennes pour tous ceux qui le souhaitent. Sachant qu'un élève a plus de chance de rentrer à Polytechnique en étant au lycée du Parc à Lyon qu'à Buffon à Paris.


Terra Nova continue ensuite, pendant un certain nombre de pages, à critiquer le modèle français. Il y a pas assez d'ingénieurs formés en France (Dix fois moins qu'en Chine, et il parait que c'est anormal), ceux-ci « ne travailleront souvent même pas pour le France » (23% à Polytechnique, mais moins de 10% dans l'immense majorité des écoles d'ingénieurs), font des stages dans des entreprises et non dans des « associations et ONG », favorisent les étudiants « forts en math »... Toute personne connaissant un peu la situation comprendra l'absurdité de ces constats.

Ancienne Ecole Polytechnique

Alors, au final, que propose Terra Nova ? D'augmenter le nombre de places en Grandes Ecoles pour faire face au déficit d'ingénieurs et chercheurs français ? Eh bien non, leur proposition 17 prévoit de « réduire de 50% en 5 ans les places aux concours des grandes écoles », et de « diminuer de 33% en 5 ans le nombre de places en classes préparatoires ». De plus, cette proposition prévoit d'« augmenter les nombres d’admis dans les grandes écoles issus de l’université et n’étant pas passés par les prépas ». L'effet sera, pour le coup, mécanique : la sélection sera encore plus rude à l'entrée. Bien joué !

Terra Nova propose ensuite (proposition 18) de « rattacher administrativement les classes préparatoires aux universités ou aux PRES [pôles de recherche et d'enseignement supérieur, ndlr] ». Cette mesure serait difficile à mettre en place administrativement : les classes préparatoires se situent dans des établissements faisant presque toujours aussi office de lycées. De plus, les prépas ne sont clairement pas le lieu où il convient de faire de la recherche.

Proposition suivante, la numéro 19 : « confier au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche la tutelle principale de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur ». C'est déjà le cas pour presque toutes les écoles d'ingénieurs françaises. Suivant !

Proposition 32 : « Rendre publique la liste des sujets d’écrit et d’oral des années précédentes pour chaque concours et examen ainsi que leur solution. C’est un phénomène peu connu mais très discriminatoire en faveur des grands lycées parisiens au détriment des lycées de province ». Ces sujets sont déjà présents sur les sites des différents concours, et les solutions sont très facilement trouvables sur Internet (ce qui est bien pratique quand on a des DM à rendre trop rapidement).

Proposition 35 : « Atténuer dans certains concours et examens les coefficients des matières socialement discriminatoires, et non directement liées aux professions auxquelles le concours donne accès ». Le débat est ici un peu déplacé, mais je ne suis pas favorable à une réévaluation massive des coefficients : un bon ingénieur ou chercheur (de même que pour les professions des autres filières) doit savoir bien parler français et anglais. Pour cela, des moyens sont déjà adaptés pour acquérir le niveau demandé pendant les classes préparatoires.


Globalement, Terra Nova me semble très loin de la réalité des Grandes Ecoles et des classes préparatoires. Pour revaloriser l'université française, il existe d'autres moyens que la casse d'une spécificité française qui marche.

Ce rapport a été assez peu décrié, malgré certaines idées étranges. Les mesures préconisées à propos des Grandes Ecoles ne surprendront pas les responsables socialistes ; en revanche, ceux-ci ne se sont guère émus de la proposition de tripler les droits d'inscription en licence et de les quadrupler en master, ce qui est plus étonnant.

Une agence de notation européenne, ou qui veut dépenser 300 millions d'euros

« Rien ne nous empêche de créer rapidement une agence de notations européenne. »
Dans son discours du 20 août dernier, à Clermont-Ferrand, Eva Joly affirme clairement son envie de créer une telle agence. Mais elle n'est pas la seule. Voyons ce que d'autres politiques en pensent.

Arnaud Montebourg, candidat à la primaire socialiste, affirme dans un communiqué son intention de « Démanteler les agences de notation privées, véritables dangers publics ». Selon lui, « l’Europe doit parallèlement organiser la création d’une agence de notation publique européenne. Elle serait indépendante, transparente et déconnectée des intérêts privés. »

On rencontre alors un premier problème : comment une agence de notation publique pourrait-elle être indépendante ? Comment une agence « chapeautée par la BCE », comme le veut Jean-Claude Juncker, pourrait-elle être crédible pour les acteurs économiques et ne pas être entachée de soupçons d'influences ? Le but, offrir une alternative à Standard and Poor's, Moody's et Fitch, serait alors compromis dès la création.


Le meilleur exemple d'une agence publique indépendante qui n'a pas fonctionné est en Chine, avec Dagong. Cette agence chinoise, fondée en 1994, n'a jamais fait référence dans le milieu, notamment à cause de ses notes plus élevées pour les créances chinoises et plus basses pour les occidentales. Ainsi, Dagong avait baissé la note de la dette américaine le 5 août dernier sans conséquence sur les marchés financiers.

L'indépendance d'une telle agence est donc capitale pour qu'elle soit utile. C'est pourquoi de riches familles allemandes soutiennent la création d'une agence de notation suisse, chargée au départ de noter seulement les crédits des entreprises. Une position à contre-courant des réflexions actuellement en cours au gouvernement allemand, démenties néanmoins par le ministre des Finances Wolfgang Schäuble.

Finalement, une telle agence est-elle nécessaire ? En quoi pourrait-elle changer la donne sur les marchés ? Faut-il dépenser 300 millions d'euros pour une structure qui n'aurait pour rôle que de confirmer les notes de ses concurrentes ? Je ne le pense pas. Une agence européenne ne serait utile que si elle était créée de manière totalement indépendante et transparente, sans intervention des Etats et sans financement par ceux-ci.


A défaut de créer une agence « publique et indépendante », certains voudraient supprimer les agences américaines, ou leur interdire de noter sévèrement les Etats ou entreprises en difficulté. Outre Arnaud Montebourg qui veut les « démanteler », Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche, s'exclame : « les agences de notation, à la niche ! ».

Ces dernières propositions sont, au mieux irréalistes, au pire irresponsables. Rappelons déjà que les trois principales agences de notation sont, pour le coup, indépendance, qui plus est américaines : un homme politique français ne pourra rien contre elles. On retrouve ensuite le débat sempiternel du thermomètre et de la température, de la Cassandre et de la prédiction : faut-il taper sur celui qui annonce les difficultés des Etats et des entreprises ou sur celui qui est en difficulté ?

Un argument souvent utilisé est alors d'accuser les entreprises de notation de créer ces difficultés. Cependant, si elles peuvent être à l'origine d'un mouvement d'entrainement de baisse des cours ou de méfiance sur les marchés, étaient-ce les agences de notation qui avaient acheté des titres de subprimes avant 2008 ? Etaient-ce Standard and Poor's, Moody's ou Fitch qui ont emprunté sur les marchés pendant des dizaines d'années pour être endetté à hauteur de 152,315 % en 2011, comme la Grèce (en dette nette par rapport au PIB) ? Non. Alors, faut-il se cacher derrière de belles paroles, une volonté politique de surface de ne pas se laisser « dominer par les marchés » ? Le meilleur moyen d'être moins dépendant de leurs « volontés », c'est d'être raisonnable. Pas de les supprimer.

Dette et déficits : qui a raison ?

Qui a raison ? Qui tapera le plus fort sur l'autre pour gagner la bataille des opinions ? Qui a su gérer la dette française ?
 

A force d'entendre tous les chiffres possibles et inimaginables sur la dette et les déficits français, j'ai eu envie de vérifier par moi-même certaines de ces allégations. Pour cela, j'ai pris des données dites primaires (en l'occurrence, les chiffres relevés par le FMI) et je les ai examinés de près. Je me suis particulièrement intéressé à deux aspects du débat : les déficits publics, et la dette française (nette - en €, et relative au PIB - en %).
 
 
Pour une meilleure compréhension de l'article, je rappelle brièvement les gouvernements successifs de ces trente dernières années :
  • 1981-1984 : Pierre Mauroy (PS)
  • 1984-1986 : Laurent Fabius (PS)
  • 1986-1988 : Jacques Chirac (RPR)
  • 1988-1991 : Michel Rocard (PS)
  • 1991-1992 : Edith Cresson (PS)
  • 1992-1993 : Pierre Bérégovoy (PS)
  • 1993-1995 : Edouard Balladur (RPR)
  • 1995-1997 : Alain Juppé (RPR)
  • 1997-2002 : Lionel Jospin (PS)
  • 2002-2005 : Jean-Pierre Raffarin (UMP)
  • 2005-2007 : Dominique de Villepin (UMP)
  • 2007-  ?  : François Fillon (UMP).

Déficits
 
 
On remarque une corrélation entre la croissance et les déficits publics : ainsi, sous les gouvernements socialistes du deuxième mandat de François Mitterrand, la croissance chute de +4,466 % en 1988 à - 0,817 % en 1993, pendant que les déficits publics augmentent de 2,634 % en 1988 à 6,421 % en 1993. Sur ce point, les trois gouvernements socialistes qui se sont succédés (Michel Rocard - Edith Cresson - Pierre Bérégovoy) n'ont pas été des modèles de vertu à la fois pour le dynamisme de l'économie française et pour une gestion saine des comptes publics.
De même, une croissance élevée (supérieure à 3 %) entre 1998 permet au gouvernement Jospin de diminuer les déficits de l'Etat, alors que la crise de 2008 (chute de la croissance de 2,323 % en 2007 à -2,546 en 2009) entraine mécaniquement une augmentation des déficits publics, qui se creusent jusqu'à 7,742 % en 2010. Signalons toutefois que la croissance n'est pas le seul indicateur à prendre en compte pour expliquer des déficits élevés ou faibles : ainsi, des privatisations (plus de 30 G€ sous le gouvernement Jospin) peuvent diminuer les déficits publics, tandis que des diminutions de recettes fiscales peuvent les augmenter.

 
Dette
 
En ces temps de débats budgétaires, d'empoignades sur la règle d'or et de discours enfumés pour savoir qui est le mieux à même de régler la question de la dette de la France, une affirmation revient souvent dans la bouche de la gauche française : "nous sommes les seuls à avoir diminué la dette depuis 30 ans".
 
Vérifions donc cette affirmation :
  • Entre 1983 et 1986, la dette nette a été multipliée par 2,41
  • Entre 1988 et 1993, la dette nette a été multipliée par 1,78
  • Entre 1997 et 2002, la dette nette a été multipliée par 1,21.
En regardant précisément les chiffres de la dette nette française, on remarque qu'aucun gouvernement socialiste n'a jamais réussi à la diminuer d'une année sur l'autre. Mieux, un seul gouvernement y est arrivé, celui de Dominique de Villepin : de 978,164 G€ en 2005, la dette nette diminue à 974,513 G€ en 2006.
 
Cependant, il est plus commode de considérer la dette en fonction du PIB. Sous cet angle de vue, le poids de la dette diminue trois fois : entre 1986 et 1987 (gouvernement Chirac), entre 1998 et 2000 (gouvernement Jospin), et entre 2005 et 2006 (gouvernement Villepin). Les socialistes ne sont alors pas les seuls à avoir diminué le poids de la dette française.
 
Tentons encore une fois de sauver l'affirmation socialiste : peut-être les socialistes sont-ils les seuls à avoir réduit le poids de la dette, en considérant les cinq années du gouvernement Jospin dans leur ensemble ? Là encore, c'est faux : trois gouvernements ont réduit le poids de la dette :
  • Entre 1986 et 1988, la dette passe de 25,316 % à 24,532 % (soit - 0,784 % pour le gouvernement Chirac, en deux ans)
  • Entre 1997 et 2002, la dette passe de 49,609 % à 49,148 % (soit - 0,461 % pour le gouvernement Jospin, en cinq ans)
  • Entre 2005 et 2007, la dette passe de 56,670 % à 54,080 % (soit - 2,590 % pour le gouvernement Villepin, en deux ans).
Le gouvernement Jospin n'est donc ni le seul vertueux de ces trente dernières années, ni le plus vertueux.

 
Vérifions maintenant une autre affirmation socialiste :

A 0'50" : "Cette dette est passée de 900 millions d'euros à 1,8 milliards d'euros".
Sur cette vidéo officielle du Parti Socialiste (visible ici), il est dit qu'en 10 ans, la droite a fait doubler la dette de la France". Vérifions cela.
Les chiffres donnés par ce porte-parole sont assurément faux : outre le facteur 1000 manquant, la dette s'élevait à 761,077 G€ en 2002 (et non à 900 G€), et à 1565,765 G€ neuf ans plus tard (et non dix ans, et non plus à 1,8 T€). Néanmoins, la "droite" a effectivement doublé la dette depuis le dernier gouvernement socialiste : entre 2002 et 2011, elle a été multipliée par 2,06.
 
Depuis 1984, la dette nette vient pour 346 milliards d'euros des gouvernements de gauche et pour 1136 milliards d'euros des gouvernements de droite (dont 573 milliards d'euros - 50,41 % - pour le gouvernement Fillon).

 
Au final, qui a plutôt été vertueux pour maintenir un déficit bas ou pour assainir les comptes publics ?
En regardant les données présentées ci-dessus, on peut donner des bons points à quatre gouvernements :
  • Les gouvernements Chirac, Jospin et Villepin pour avoir maintenu un poids de la dette constant (notons néanmoins que le gouvernement Jospin a augmenté la dette nette)
  • Le gouvernement Juppé pour avoir redressé une situation désastreuse des gouvernements précédents.
De même, on peut désigner les trois plus mauvais gouvernements dans la gestion des déficits et de la dette publique : les gouvernements Cresson-Bérégovoy, Balladur et Fillon.

 
La gauche française a-t-elle été vertueuse ? Pendant le second mandat de François Mitterrand, non, et sous le gouvernement Jospin, elle a été raisonnable. La droite française est-elle la cause de l'endettement massif de la France ? Pendant les gouvernements Chirac, Juppé et Villepin, non, mais sous Balladur, Raffarin et Fillon, assurément.

 
En réalité, la situation est donc plus compliquée qu'une opposition simpliste gauche/droite : chaque côté de l'échiquier politique est responsable d'une partie de la dette, mais à des niveaux variables selon les gouvernements. Au lieu de se jeter la pierre, le PS et l'UMP devraient plutôt réfléchir à des mesures concrètes de réduction du déficit sans austérité excessive. Pour cette raison, j'approuve la règle d'or proposée par l'UMP : il faut regarder l'avenir et ne plus commettre les mêmes erreurs.
 
J'entends bien les arguments du Parti Socialistes ou d'autres partis de gauche et d'extrême-gauche, et je trouve aussi que Nicolas Sarkozy est très loin d'être un exemple de vertu pour une gestion raisonnable des comptes publics. Cependant, les erreurs commises dans le passé (et certaines encore dans le présent) justifient-elles une opposition de la gauche qui n'est ici qu'idéologique ? Au fond, de quoi les socialistes ont-ils peur ? De devoir revoir leur projet pour 2012 afin qu'il soit enfin économiquement viable ? Cela ne pourrait que faire du bien, au Parti Socialiste et à la France.

 
Notes : vous pouvez retrouver le document du FMI ici. Les graphiques sont de ma conception. 1 G€ = 1 milliard d'euros. 1 T€ = 1 000 milliards d'euros.