samedi 27 août 2011

Terra Nova vs. les Grandes Ecoles

Le 23 août dernier, Terra Nova, think tank politique proche du PS, a publié un rapport intitulé « Faire réussir nos étudiants, faire progresser la France : Propositions pour un sursaut vers la société de la connaissance ». Dans ce papier de 97 pages visible ici, la question des Grandes Ecoles, une des nombreuses spécificités françaises, est largement abordée.
Terra Nova commence par reconnaitre l'utilité des Grandes Ecoles dans l'histoire française : pour former des cadres, ingénieurs, hauts fonctionnaires, elles se sont toujours révélées les meilleures structures pour faire face aux défis que la France rencontrait. Industries ferroviaire, aéronautique, aérospatiale, nucléaire sont ainsi citées comme des exemples de l'utilité de ces écoles. Mais ce système est aujourd'hui dépassé selon le think tank de gauche, car il est trop vieux, et pas assez ancré dans la recherche.

Le groupement d'écoles d'ingénieurs ParisTech (Agro, Chimie Paris, Ponts, X, ENSTA, ENSAM, ENSAE, Mines de Paris, SupOptique, Telecom Paris...) est cité : selon Terra Nova, il n'aurait produit que deux prix Nobel, contre 23 pour le Massachusetts Institute of Technology (MIT, Etats-Unis). Outre que je ne sais pas d'où ils ont sorti ces chiffres, il ne faut pas mélanger les Grandes Ecoles et les universités (françaises ou américaines) dont le rôle est fondamentalement différent.

Ainsi, les Grandes Ecoles d'ingénieurs ont pour but premier de former des ingénieurs, et non des chercheurs. La recherche est réservée aux Ecoles Normales Supérieures (Ulm, Cachan, Lyon), qui offrent ensuite des débouchés au CNRS ou pour des places d'enseignant-chercheur des universités. Au contraire, les écoles d'ingénieurs permettent aux étudiants d'acquérir le savoir nécessaire à leur futur professionnel, et s'inscrivent ainsi plus directement, dans l'esprit, dans la lignée du lycée et des classes préparatoires (avec néanmoins un plus fort ancrage dans le monde de l'entreprise). Va-t-on regretter que nos bacheliers n'aient pas de distinctions internationales ?

Toutefois, les Grandes Ecoles d'ingénieurs ne sont pas totalement absentes de la recherche scientifique. Ainsi, des entreprises n'hésitent pas à demander aux étudiants de ces écoles de réaliser certaines études. De plus, les débouchés dans le monde de la recherche sont nombreux pour certaines écoles, à l'image de l'Ecole Polytechnique (28% de doctorants pour la promotion 2009, sans compter la recherche en entreprise).


Terra Nova revient ensuite sur le mode de sélection des classes préparatoires et des Grandes Ecoles. Ainsi, la réussite serait « mécaniquement » impossible sans « s’orienter dès le plus jeune âge vers les filières les plus sélectives ». Ce « filtrage féroce » permettrait alors de ne sélectionner que ceux qui auraient alors « accès aux classes préparatoires parisiennes et versaillaises ». Outre l'éternel débat sur la reproduction sociale (que je n'aborderai pas ici), cette affirmation est fausse : on ne prépare pas un enfant de maternelle à être ingénieur, et il y a assez de place dans les classes préparatoires parisiennes pour tous ceux qui le souhaitent. Sachant qu'un élève a plus de chance de rentrer à Polytechnique en étant au lycée du Parc à Lyon qu'à Buffon à Paris.


Terra Nova continue ensuite, pendant un certain nombre de pages, à critiquer le modèle français. Il y a pas assez d'ingénieurs formés en France (Dix fois moins qu'en Chine, et il parait que c'est anormal), ceux-ci « ne travailleront souvent même pas pour le France » (23% à Polytechnique, mais moins de 10% dans l'immense majorité des écoles d'ingénieurs), font des stages dans des entreprises et non dans des « associations et ONG », favorisent les étudiants « forts en math »... Toute personne connaissant un peu la situation comprendra l'absurdité de ces constats.

Ancienne Ecole Polytechnique

Alors, au final, que propose Terra Nova ? D'augmenter le nombre de places en Grandes Ecoles pour faire face au déficit d'ingénieurs et chercheurs français ? Eh bien non, leur proposition 17 prévoit de « réduire de 50% en 5 ans les places aux concours des grandes écoles », et de « diminuer de 33% en 5 ans le nombre de places en classes préparatoires ». De plus, cette proposition prévoit d'« augmenter les nombres d’admis dans les grandes écoles issus de l’université et n’étant pas passés par les prépas ». L'effet sera, pour le coup, mécanique : la sélection sera encore plus rude à l'entrée. Bien joué !

Terra Nova propose ensuite (proposition 18) de « rattacher administrativement les classes préparatoires aux universités ou aux PRES [pôles de recherche et d'enseignement supérieur, ndlr] ». Cette mesure serait difficile à mettre en place administrativement : les classes préparatoires se situent dans des établissements faisant presque toujours aussi office de lycées. De plus, les prépas ne sont clairement pas le lieu où il convient de faire de la recherche.

Proposition suivante, la numéro 19 : « confier au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche la tutelle principale de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur ». C'est déjà le cas pour presque toutes les écoles d'ingénieurs françaises. Suivant !

Proposition 32 : « Rendre publique la liste des sujets d’écrit et d’oral des années précédentes pour chaque concours et examen ainsi que leur solution. C’est un phénomène peu connu mais très discriminatoire en faveur des grands lycées parisiens au détriment des lycées de province ». Ces sujets sont déjà présents sur les sites des différents concours, et les solutions sont très facilement trouvables sur Internet (ce qui est bien pratique quand on a des DM à rendre trop rapidement).

Proposition 35 : « Atténuer dans certains concours et examens les coefficients des matières socialement discriminatoires, et non directement liées aux professions auxquelles le concours donne accès ». Le débat est ici un peu déplacé, mais je ne suis pas favorable à une réévaluation massive des coefficients : un bon ingénieur ou chercheur (de même que pour les professions des autres filières) doit savoir bien parler français et anglais. Pour cela, des moyens sont déjà adaptés pour acquérir le niveau demandé pendant les classes préparatoires.


Globalement, Terra Nova me semble très loin de la réalité des Grandes Ecoles et des classes préparatoires. Pour revaloriser l'université française, il existe d'autres moyens que la casse d'une spécificité française qui marche.

Ce rapport a été assez peu décrié, malgré certaines idées étranges. Les mesures préconisées à propos des Grandes Ecoles ne surprendront pas les responsables socialistes ; en revanche, ceux-ci ne se sont guère émus de la proposition de tripler les droits d'inscription en licence et de les quadrupler en master, ce qui est plus étonnant.

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