mardi 17 janvier 2012

L'humour et le bon mot en politique

Lors de son passage remarqué lors de l'émission Des paroles et des actes de jeudi dernier, Jean-Luc Mélenchon s'est targué de faire de la politique par l'humour. Il s'est justifié en affirmant avoir changé sa stratégie de communication, désormais plus conciliante et plus sympathique aux yeux des Français.

Cette nouvelle démarche du candidat du Front de gauche contraste heureusement avec l'austérité, dans les paroles et dans les actes, des principaux autres candidats. Entre un Nicolas Sarkozy qui se veut alarmiste et un François Hollande qui cherche à devenir « présidentiable », l'humour de Jean-Luc Mélenchon fait rejaillir sa sincérité.

Cependant, cette nouvelle approche de la politique est dangereuse. Deux phénomènes distincts doivent être analysés : l'humour et le bon mot. Pour cela, étudions les cas de cinq hommes politiques notables : Nicolas Sarkozy, François Hollande, Dominique de Villepin, Jean-Marie Le Pen, et enfin Jean-Luc Mélenchon.


Nicolas Sarkozy : le président décontracté

Avant son dernier remaniement de communication, Nicolas Sarkozy aimait plaisanter. Jusqu'en 2010, il se disait ainsi « DRH du Parti Socialiste », se moquait de ses adversaires, et n'hésitait pas à éviter des questions de journalistes par l'humour.

Cet humour constant a eu une conséquence notoire, dues à la position présidentielle de Nicolas Sarkozy. Le différentiel entre les responsabilités de l'homme et son attitude rapportée par les médias a porté préjudice à sa stature présidentielle. Comment un homme, en charge des malheurs des français (chômage, dette...), pourrait-il se permettre de blaguer sur des conflits politiciens ?


François Hollande : le piquant

Depuis son arrivée à Solferino il y a près de quinze ans, François Hollande est connu comme un bon vivant toujours prêt à plaisanter sur ses adversaires politiques. Cependant, depuis qu'il aspire à devenir le futur président de la République française, le candidat du Parti Socialiste a raréfié ses bons mots. Depuis le début 2011, ses interventions se font plus rares, plus sérieuses.

Néanmoins, certains traits d'esprit filtrent encore : l'histoire du « sale mec » est un exemple. Deux conséquences peuvent alors apparaitre : soit le candidat adverse est discrédité si le bon mot est bien utilisé, soit le retour est négatif du fait d'une communication trop rare du candidat au bon mot.

Pour François Hollande, ce second point risque de primer sur le premier : dans l'inconscient collectif, des tentatives d'humour ponctuel de la part du socialiste se traduiront par une perte de crédibilité. Comment prôner l'austérité de gauche à la télévision tout en lançant des piques à ses adversaires lors de meetings ou de conversations avec des journalistes ?


Dominique de Villepin : l'habitude

Pour Dominique de Villepin, l'usage de bons mots est malheureusement trop fréquent, de même que ses interventions médiatiques. Depuis 2010, l'ancien président de République Solidaire multiplie les sorties sur ses adversaires politiques (que ce soit Nicolas Sarkozy et son croc de boucher, François Fillon et son labrador, Nathalie Arthaud et sa révolution...).

Depuis deux ans, Dominique de Villepin s'est installé dans l'univers médiatique français, sans pour autant gagner ce qu'il espérait sans doute : la visibilité de sa candidature et l'amusement des électeurs. Au contraire, un certain discrédit s'est abattu sur sa campagne : il n'est parfois plus perçu que comme un opportuniste essayant vainement de se faire une place au soleil des JT de 20h.


Jean-Marie Le Pen : la manie du verbe

L'ancien homme du 21 avril a une qualité que tous lui reconnaissent : il sait manier la langue française. Ses détracteurs admettent ainsi que ses discours ne manquent parfois pas de charme, sur la forme. Jean-Marie Le Pen a cette qualité de savoir distiller ses bons mots sur les hommes politiques français avec saveur et parcimonie.

L'effet sur les électeurs français ne se traduit pas à cause du fond de ses discours, mais certains électeurs aujourd'hui tentés par l'extrême-droite regrettent que la « modérée » Marine n'ait pas son verbe et sa fougue. Les bons mots du père deviennent au final le prétexte du vote pour la fille.

Précisons néanmoins que les plaisanteries du désormais président d'honneur du Front National baissent sérieusement en qualité. Avec ses comparaisons de Nicolas Sarkozy à Pinocchio, et sa sortie sur les arabo-musulmans allant violer le président de la République sur les Champs-Elysées, Jean-Marie Le Pen m'a beaucoup déçu, sachez-le.


Et dans tout ça, Jean-Luc Mélenchon ?

Après une période d'insultes copieuses envers les journalistes, les patrons, les banquiers, les riches, le gouvernement, la droite et la gauche, Jean-Luc Mélenchon s'est calmé. Finies les invectives publiques chez Europe 1, finies les prises à parti d'étudiants journalistes dans des manifestations ! Chez Jean-Luc, le changement, c'est maintenant.

Sur le court-terme, la différence de stratégie peut se faire sentir. On est ici en présence d'un nouveau personnage plus sympathique, plus rassurant, plus proche de ce que les français veulent entendre pour garder le moral. La conséquence directe est un marquage des esprits et une redécouverte du candidat par les électeurs.

Cependant, le risque réside dans la capacité du candidat à faire passer son message et ses idées. Les électeurs ne pourraient retenir que le sens de l'humour du candidat, et non le contenu de ses interventions. A la longue, la fameuse posture présidentielle de l'homme peut être sérieusement impactée. Comment rester crédible en économie lorsqu'on compare le célèbre « AAA » français à un label pour andouillettes ?

L'humour en politique est une science. Ceux qui s'y risquent comprennent souvent assez vite que leur démarche doit être corrigée, sous peine de perdre en crédibilité et en présidentiabilité. Au contraire, se garder de toute plaisanterie rend l'homme politique froid, distant, voire cynique. Comment trouver le juste milieu ?

En 2008, alors qu'Hillary Clinton voyait sa défaite aux primaires démocrates arriver, elle avait pleuré en public. Sa côte de popularité était immédiatement montée en flèche. L'humanité des candidats est parfois plus efficace à mettre en avant qu'une communication rodée.

lundi 16 janvier 2012

EELV a-t-il encore une raison d'exister ?

Vendredi 13 janvier, l'eurodéputé  Daniel Cohn-Bendit a déclaré : « pour moi, c'est François Hollande ». Fin de séquence pour Eva Joly, ou décision attendue ?


En 2009 et 2010, Europe Ecologie et Les Verts s'associent, pour les scrutins européens et régionaux. Deux élections où la parole des écologistes a une raison d'être entendue : l'Europe, avec ses règlements environnementaux, et les régions, avec ses transports, sont des thématiques naturelles des Verts.
Le 13 novembre 2010, le parti EELV (pour Europe Ecologie Les Verts) est créé. Surfant sur l'illusion des derniers scores conjoncturellement élevés, l'ambition proclamée est de faire jeu égal avec le Parti Socialiste. Des négociations contraignantes sont alors lancées.

Depuis, la situation a évolué. Les élections cantonales ont stoppé l'avancée d'EELV dans les urnes. La primaire socialiste s'est terminée, et avec elle son lot de promesses écologistes. L'accord législatif avec le PS s'est conclu dans le sang et les larmes. Enfin, les divisions internes, déjà marquées lors de la primaire écologiste par le départ de Nicolas Hulot, se sont ravivées : Yannick Jadot, porte-parole d'Eva Joly, a même démissionné le 23 novembre dernier.


Aujourd'hui, dans quel état se trouve la campagne d'Eva Joly ? La morosité domine. Les intentions de vote continuent de diminuer. Les cadres du parti réfléchissent à un retrait de la course à la présidentielle de leur « championne ». Eva Joly continue de proposer des idées étranges (comme deux nouveaux jours fériés). Surtout, l'écologie a disparu des thématiques de campagne, au profit de considérations sociales proches des revendications d'extrême-gauche.

Dans ce cadre, EELV doit-il encore présenter une candidate pour le 22 avril prochain ? Je ne le crois pas. Pour éviter un échec électoral, pour tenter de préserver son accord électoral avec le PS, et pour garder un budget à l'équilibre, Eva Joly pourrait se retirer.

Dès lors, les Verts pourraient jouer leur rôle premier qu'ils n'auraient jamais dû dépasser : celui d'agitateur d'idées. Maintenant que l'écologie est intégrée dans les programmes de tous les partis politiques, EELV ne doit pas s'enfermer dans le sectarisme de propositions poussées à l'extrême, ni s'exclure d'accord électoraux à l'amiable avec d'autres partis de gauche.

L'écologie politique doit-elle exister ? Je ne le crois plus. La seule écologie encore utile, qui porte ses fruits et qui peut réellement changer certaines situations intolérables est l'écologie militante, associative. Qu'a fait EELV pour l'écologie en trois ans ? Rien. Qu'ont fait des associations comme Greenpeace ? Ils contraignent chaque jour les gouvernements et les industries à adopter des conduites plus respectueuses de l'environnement.

Passons-nous d'EELV. Les idées apportées sont négligeables, et le succès de leurs thématiques est de toute façon assuré par les autres candidats. La priorité aujourd'hui n'est pas la défense des ours blancs du zoo de Vincennes, mais la protection des citoyens français face aux conséquences de la crise économique.

La démocratie supportera la fin d'EELV : Jean-Luc Mélenchon assure déjà la relève des idées. Nos finances publiques n'y trouveront rien à redire : EELV a bénéficié de 1,7 millions d'euros de subventions publiques en 2010.

dimanche 15 janvier 2012

François Bayrou, c'est le vote utile !

En ces temps de précampagne présidentielle, chaque candidat se cherche une place. Nicolas Sarkozy est le président « courageux », François Hollande serait le candidat « juste ». François Bayrou sera le troisième homme de cette élection.

Quand je m'interroge sur l'image que j'attribue au président du Mouvement Démocrate (MoDem), je vois une certitude. Depuis toujours, je trouve les idées intéressantes, au contraire de l'homme. François Bayrou ne déclenche clairement aucune passion chez moi.

Prenons l'exemple de la campagne présidentielle de 2007. A cette époque, François Bayrou avait raison sur la dette et les déficits français. Néanmoins, sa campagne souffrait de sa personnalité, illustrée à merveille dans le choix de ses clips officiels de campagne.



Pourtant, François Bayrou incarne un espoir : l'alternative. Loin des promesses socialistes de changements, un centriste représente la promesse d'une alternative à l'opposition traditionnelle entre gauche et droite. Mieux : François Bayrou représente ici le meilleur candidat du deuxième tour.
 
 
Projetez-vous au 6 mai prochain, dans l'isoloir. Pour qui voteriez-vous entre Nicolas Sarkozy et François Hollande ? Je ne saurais pas répondre pour moi-même. Entre l'UMP et le MoDem, ou entre le MoDem et le PS ? Là, par contre, je choisis le MoDem. Au final, François Bayrou l'emporte.


D'ici-là, il fait éviter le 21 avril « traditionnel » dont on ne parle pas toujours : l'éternel choix PS versus UMP. La présence d'un candidat alternatif et consensuel au second tour est un bon compromis pour éviter de devoir désigner le candidat le moins pire.

La candidature de François Bayrou peut l'emporter. Une des solutions serait donc de faciliter son accession au second tour. Le vote utile, le vote stratégique, ce serait donc François Bayrou, dès le 22 avril.

dimanche 4 septembre 2011

L'exemple allemand en question

Après un récent article sur la dette et les déficits en France depuis 1983, intéressons-nous maintenant à l'exemple allemand. En effet, il est de bon ton aujourd'hui de vanter l'exemple allemand, et de se référer dans toutes les discussions économiques à un modèle germanique prédominant. Le gouvernement qui s'en approcherait serait vertueux, "bon élève", et serait alors compétent en finances publiques, tandis que celui qui s'en éloignerait serait irresponsable, et menacerait la France.
Nous allons donc étudier quelques affirmations, entendues ces derniers mois.


La crise financière

L'UMP le répète : grâce à Nicolas Sarkozy, la France a mieux résisté à la crise financière de 2008-2009 que l'Allemagne. Comparons alors la croissance des deux pays.


On remarque que la croissance de la France est restée supérieure à celle de l'Allemagne au plus fort de la crise : la récession a été moins profonde. Ainsi, en 2009, l'Allemagne avait une croissance de -4,669 %, tandis que la France ne subissait « que » un -2,546 %. Une différence de plus de deux points, donc, qui montre que la croissance française a mieux résisté. L'UMP a ici raison.

Cependant, la reprise amorcée dès 2010 a été plus faible en France qu'en Allemagne. Ainsi, en 2010, la croissance a été de 1,486 en France contre 3,504 % en Allemagne, et en 2011 de 1,784 % en France contre 2,092 % en Allemagne. Néanmoins, le FMI prévoit une baisse de la croissance en Allemagne ces prochaines années (pour atteindre 1,3 % en 2016), tandis que la croissance de la France devrait continuer d'augmenter (pour atteindre 2,1 % en 2016). Signalons toutefois que ces dernières prévisions du FMI ne tiennent pas compte de la crise de la dette de cet été et des perspectives de croissance, revues à la baisse, formulées ces dernières semaines.


Le gouvernement Schröder

Autre affirmation souvent entendue, l'Allemagne aurait bénéficié des réformes « courageuses » et parfois impopulaires du chancelier Gerhard Schröder pendant la coalition « rouge-verte » (SPD-Grünen), entre 1998 et 2005.

En regardant le graphique précédent de la croissance de l'Allemagne, on remarque que celle-ci s'est nettement redressée après le début des années 2000, période de faible croissance partout en Europe.  Ainsi, dès l'année 2003, la croissance allemande repart à la hausse, et dès 2006, elle dépasse celle de la France, pour la première fois depuis plus de dix ans.
Cette tendance est encore plus significative quand on regarde l'évolution des déficits publics pendant la même période.


A partir de 2005, les déficits publics reviennent à des niveaux acceptables (-3,393 % en 2005, -1,596 % en 2006) pour s'annuler avant la crise financière de 2009. Ainsi, en 2007 (+0,261 %) et 2008 (+0,114 %), l'Allemagne est même en bénéfice net.


Le gouvernement Villepin

Dominique de Villepin, pour fêter son retour médiatique après un long procès Clearstream en appel et de longues vacances entrecoupées de négociations diplomatiques secrètes, répète partout que si la France a décroché par rapport à l'Allemagne, c'est uniquement de la faute de Nicolas Sarkozy.


Les deux graphiques précédents montrent que le gouvernement Villepin (2005-2007) a su maintenir une croissance honorable (au-dessus de 2 %) et des déficits publics relativement modestes.

Cependant, le graphique du poids de la dette montre clairement que l'écart entre les politiques française et allemande se fait sentir dès 2006. Ainsi, en 2007, l'Allemagne est en excédent budgétaire de +0,261 ù pendant que la France traine encore un déficit public de -2,732 %. En 2007, la France et l'Allemagne ne sont pas dans la même situation : le poids de la dette française est plus élevée, et en hausse, que celle de l'Allemagne.


Le gouvernement de Dominique de Villepin n'a donc pas laissé une France en parfait état, même si ses partisans diront qu'elle était sur la voie du redressement. L'analyse de l'ancien Premier Ministre de Jacques Chirac, entendue dernièrement sur France Inter, est en fait plus juste dans son ensemble : la situation de la France était bien meilleure en 2007, mais des efforts importants auraient encore dû être faits.


La politique de Nicolas Sarkozy

Au final, ce serait donc la politique budgétaire des gouvernements Fillon, sous Nicolas Sarkozy, qui auraient participé à la dérive de la France par rapport à notre voisin allemand. Le graphique de la dette nette de la France confirme cet avis : à partir de 2007, la dette nette de la France explose, et finit même par dépasser celle de l'Allemagne, en 2010.


Les prévisions du FMI pour les déficits publics de l'Allemagne et de la France le confirment : en 2015, l'Allemagne devrait stabiliser son déficit à -0.05 %, contre -2,2 % pour la France (prévisions établies avant la crise de cet été). La politique budgétaire de Nicolas Sarkozy a donc clairement été moins bonne que celle de l'Allemagne en temps de crise.


Notes : vous pouvez retrouver le document du FMI ici. Les graphiques sont de ma conception. 1 G€ = 1 milliard d'euros. 1 T€ = 1 000 milliards d'euros.

lundi 29 août 2011

Non, non, rien n'a changé

A défaut d'actualité intéressante en ces temps de vacances de ministres et d'université d'été du Parti Socialiste, j'ai eu l'idée de relire quelques vieux journaux datant de fin 2005, et que je conserve précieusement dans un placard. Voyons les titres.


Jeudi 17 novembre 2005 : « L'UMP voit un rapport entre violences urbaines et polygamie »

Après les émeutes du début du mois de novembre, le gouvernement, et en premier lieu son ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, essaie d'expliquer les dérapages en banlieue. A 18 mois de l'élection présidentielle de 2007, l'UMP poursuit alors sa stratégie de droitisation de sa ligne et de conquête de l'électorat frontiste.


Ainsi, Gérard Larcher, alors ministre de l'Emploi (et actuellement président du Sénat), déclare que la polygamie est « l'une des causes des violences urbaines ». Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l'Assemblée Nationale (et actuellement président de cette même assemblée), précisait que « cela pose des problèmes de logement », car « on ne peut pas vivre à plusieurs dans un appartement ». On parlait alors de 30 000 familles polygames.

Comme quoi, la politique du bouc-émissaire n'est pas nouvelle, et l'affaire Liès Hebbadj - musulman radical et polygame dont la femme voilée avait été arrêtée au volant en 2010 - n'est finalement qu'un écho des répétitions de l'Histoire.


Lundi 12 décembre 2005 : « Les extraits de naissance disponibles sur le Net »

Le ministre délégué à la Réforme de l'Etat, Jean-François Copé (actuellement secrétaire général de l'UMP) annonce que « 2006 sera l'année clé de l'administration électronique ». Une simplification des demandes est ainsi prévue grâce à Internet, notamment avec la télédéclaration des impôts. L'objectif affiché est alors de « permettre aux Français d'effectuer toutes leurs démarches administratives sans se déplacer, et 24h/24 ».


Quand on voit le temps qu'il faut aujourd'hui pour qu'une administration publique envoie un papier, on remercie gentiment Jean-François Copé. Cf ma notification conditionnelle de bourse que j'attends depuis un mois et demi.


Lundi 12 décembre 2005 : « Le PS doit faire sa révolution »

Quelques jours après la clôture du congrès du Mans du Parti Socialiste, Arnaud Montebourg revient, dans une interview au journal gratuit 20 Minutes, sur sa création de son nouveau courant : « Rénover maintenant ». VIème République, lutte contre les délocalisations, emploi, banlieues, les thèmes sont les mêmes qu'aujourd'hui. Arnaud Montebourg exhorte ainsi les socialistes à « faire leur révolution pour affronter la mondialisation ». On remarquera au passage qu'à l'époque, il ne s'agissait pas de s'en détourner.


Arnaud Montebourg revient également sur les condamnations consécutives aux émeutes en banlieue, en relativisant leur nécessité devant « l'enterrement des affaires de délinquance en col blanc ».


L'actualité est presque identique six ans plus tard. Finalement, pourquoi suivre l'actualité quand il suffit de retrouver de vieux journaux ?



Ah, si, un petit changement en six ans : en 2005, on pouvait encore lire le titre « Nicolas Sarkozy de plus en plus haut dans les sondages » (20 Minutes du 17 novembre). Plus maintenant.

dimanche 28 août 2011

FAI : Retour vers le passé

J'ai eu accès à Internet chez moi pour la première fois en 1998. J'étais petit, on avait notre premier PC (avec 1,5 Go de disque dur, la claaasse !), on était émerveillé par Lycos, jouer au Solitaire sous Windows 95 relevait du prodige, il fallait 48 heures pour une défragmentation... Le bon temps, quoi. A l'époque, nous avions 1 h d'Internet par mois, chez Club-Internet, en très bas débit (pire que du 56k). Et déjà, à l'époque, on commençait à parler de forfaits à 25 heures, 50 heures, voire même 100 heures par mois pour seulement 40 ou 50 euros par mois !

Depuis, France Télécom a été privatisé, et Free, filiale d'Iliad, est arrivé sur le marché (en 2002). Les prix ont été cassés, les débits offerts se sont envolés, l'illimité et le Triple Play (voire le Quadruple Play en ce moment) sont devenus nécessaires pour garder ses clients. Au meilleur moment du changement, lorsque Free attirait de plus en plus de clients, France Télécom perdait 10 000 clients par semaine. Depuis, 38,23 millions de Français ont accès à Internet (71,3 % des plus de 11 ans), dont 34,28 millions en haut débit (89,1% des internautes).

Un article du journal 20 minutes datant de novembre 2005

La norme des abonnements Internet, spécifique à la France, est la suivante : 30 euros par mois pour le téléphone, Internet et la télévision illimités et en haut débit. Malgré quelques disparités territoriales subsistantes et les tentatives du gouvernement de diminuer les bénéfices des FAI (Fournisseurs d'Accès à Internet), les avantages des clients semblent acquis, en attente de l'arrivée de la fibre optique. Seulement, les FAI résisteront-ils à la tentation d'augmenter les prix de manière coordonnée ?

D'après le site owni.fr, des discussions seraient en cours pour mettre fin à cet âge d'or pour les clients de l'Internet illimité. A travers la Fédération Française des Télécom (FFT), les principaux FAI français seraient en train de s'entendre discrètement. Le document de la FFT, datant du 21 juillet dernier, serait ainsi « une réponse à la consultation menée par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) sur la neutralité des réseaux ».

Depuis quelques années, la neutralité du Net est attaquée par certains géants de l'Internet. On peut ainsi citer le blocage de sites de syndicats, de vidéos, d'applications de VoIP (comme Skype), la mise en place de forfaits donnant le droit de consulter exclusivement certains sites (comme Facebook ou Twitter par exemple)... Et dans le cadre de la FFT, les principaux opérateurs français (Orange, SFR, Bouygues Telecom), à l'exception de Free et de Numéricable, semblent désormais vouloir différentier les débits selon l'usage d'Internet ou selon la consommation de bande passante de leurs clients.

La « gestion du trafic » est alors mise sur la table de l'entente cordiale entre les FAI. Ainsi, le document de travail de la FFT prévoit que « pour les applications et services dont les besoins sont moins déterminants, les opérateurs peuvent limiter les flux correspondants et ainsi améliorer l'expérience des consommateurs souhaitant accéder à d'autres types de services ». Pour faire discrètement passer la pilule auprès des clients, les « clauses d'usage raisonnable », déjà mises en place pour certains forfaits mobile, sont vantées : selon l'appréciation du FAI, votre débit peut ainsi diminuer, votre accès à Internet être coupé, parce que vous n'avez pas été « raisonnable ».

Concrètement, cette initiative peut se traduire par une différenciation des forfaits, avec une « segmentation des offres » encore plus importante. Ainsi, différents contrats peuvent être souscrits, et le client paie plus s'il veut utiliser plus de bande passante. L'objectif final est alors de limiter la consommation en bande passante des internautes et d'augmenter au passage les forfaits.

La justification des FAI est primaire : il faut « réduire autant que possible les situations de congestion des réseaux », « garantir la sécurité du réseau et des utilisateurs », assurer « la continuité de service pour l'ensemble des utilisateurs ». De nobles principes, donc, qui seraient assurés par « la réduction de débit au-delà d'un seuil de volume de données consommées », ceci pour « éviter une facturation excessive » imposée au client s'il n'est pas « raisonnable ». Adieu Megavideo, Youtube, Deezer, Twitter, Facebook, Bittorent, la télé sur Internet, vous consommez trop pour nous !

Un publicité pour Cégétel (depuis racheté par SFR) de 2005

A la manière du design retro très en vogue en ce moment, les offres Internet prendraient ainsi un sacré coup de vieux. Avec des forfaits calqués sur ceux pratiqués aux Etats-Unis par certains opérateurs, nous reviendrions en 1998, lorsqu'il fallait compter les minutes passées sur Internet et se mettre hors connexion pour lire ses mails, sinon ça coûtait trop cher. Au final, nous aurions moins d'Internet pour être sûr de ne pas en avoir moins. Logique imparable de la FFT.

Derrière ces raisons affichées se cache un problème plus économique. Alors que le marché de l'Internet a fini son expansion en France et qu'il est désormais difficile pour un FAI d'attirer de nouveaux clients, les opérateurs souhaitent augmenter leurs bénéfices en réduisant leurs investissements. Persuadés que le client ne réagira pas et continuera à payer, les FAI préfèrent ainsi les faire passer à la caisse, plutôt que d'investir dans de nouvelles infrastructures pour développer l'accès à Internet pour tous ou pour répandre le très haut débit avec la fibre optique.


Les politiques et associations de défense des consommateurs ont réagi. L'UFC-Que-Choisir a bien sûr dénoncé ces pratiques « inacceptable », soulignant que de nouvelles offres différentiées ne favoriseraient pas le client. Le gouvernement, par Eric Besson, ministre de l'Economie Numérique, a aussi réagi : « Le gouvernement n'envisage aucune restriction de l'accès à Internet et travaille bien au contraire au développement du très haut débit fixe et mobile sur l'ensemble du territoire et pour l'ensemble des Français ».

Le Parti Socialiste, par l'intermédiaire de son porte-parole Benoît Hamon, s'est aussi opposé à de tels changements.

« Il n'est pas question pour nous que nous acceptions une remise en cause de la neutralité de l'Internet notamment à travers l'accès qui pourrait être limité à un certain nombre de technologies ». La position du Parti Socialiste est donc claire : « C'est pour nous absolument inacceptable ».

Le Front National, par l'intermédiaire d'un communiqué de sa présidente Marine Le Pen, a également réagi : « L’accès à Internet peut être assimilé à un service public. Il n’est pas question d’en rendre le coût prohibitif ou d’en dégrader la qualité de service ».

samedi 27 août 2011

Terra Nova vs. les Grandes Ecoles

Le 23 août dernier, Terra Nova, think tank politique proche du PS, a publié un rapport intitulé « Faire réussir nos étudiants, faire progresser la France : Propositions pour un sursaut vers la société de la connaissance ». Dans ce papier de 97 pages visible ici, la question des Grandes Ecoles, une des nombreuses spécificités françaises, est largement abordée.
Terra Nova commence par reconnaitre l'utilité des Grandes Ecoles dans l'histoire française : pour former des cadres, ingénieurs, hauts fonctionnaires, elles se sont toujours révélées les meilleures structures pour faire face aux défis que la France rencontrait. Industries ferroviaire, aéronautique, aérospatiale, nucléaire sont ainsi citées comme des exemples de l'utilité de ces écoles. Mais ce système est aujourd'hui dépassé selon le think tank de gauche, car il est trop vieux, et pas assez ancré dans la recherche.

Le groupement d'écoles d'ingénieurs ParisTech (Agro, Chimie Paris, Ponts, X, ENSTA, ENSAM, ENSAE, Mines de Paris, SupOptique, Telecom Paris...) est cité : selon Terra Nova, il n'aurait produit que deux prix Nobel, contre 23 pour le Massachusetts Institute of Technology (MIT, Etats-Unis). Outre que je ne sais pas d'où ils ont sorti ces chiffres, il ne faut pas mélanger les Grandes Ecoles et les universités (françaises ou américaines) dont le rôle est fondamentalement différent.

Ainsi, les Grandes Ecoles d'ingénieurs ont pour but premier de former des ingénieurs, et non des chercheurs. La recherche est réservée aux Ecoles Normales Supérieures (Ulm, Cachan, Lyon), qui offrent ensuite des débouchés au CNRS ou pour des places d'enseignant-chercheur des universités. Au contraire, les écoles d'ingénieurs permettent aux étudiants d'acquérir le savoir nécessaire à leur futur professionnel, et s'inscrivent ainsi plus directement, dans l'esprit, dans la lignée du lycée et des classes préparatoires (avec néanmoins un plus fort ancrage dans le monde de l'entreprise). Va-t-on regretter que nos bacheliers n'aient pas de distinctions internationales ?

Toutefois, les Grandes Ecoles d'ingénieurs ne sont pas totalement absentes de la recherche scientifique. Ainsi, des entreprises n'hésitent pas à demander aux étudiants de ces écoles de réaliser certaines études. De plus, les débouchés dans le monde de la recherche sont nombreux pour certaines écoles, à l'image de l'Ecole Polytechnique (28% de doctorants pour la promotion 2009, sans compter la recherche en entreprise).


Terra Nova revient ensuite sur le mode de sélection des classes préparatoires et des Grandes Ecoles. Ainsi, la réussite serait « mécaniquement » impossible sans « s’orienter dès le plus jeune âge vers les filières les plus sélectives ». Ce « filtrage féroce » permettrait alors de ne sélectionner que ceux qui auraient alors « accès aux classes préparatoires parisiennes et versaillaises ». Outre l'éternel débat sur la reproduction sociale (que je n'aborderai pas ici), cette affirmation est fausse : on ne prépare pas un enfant de maternelle à être ingénieur, et il y a assez de place dans les classes préparatoires parisiennes pour tous ceux qui le souhaitent. Sachant qu'un élève a plus de chance de rentrer à Polytechnique en étant au lycée du Parc à Lyon qu'à Buffon à Paris.


Terra Nova continue ensuite, pendant un certain nombre de pages, à critiquer le modèle français. Il y a pas assez d'ingénieurs formés en France (Dix fois moins qu'en Chine, et il parait que c'est anormal), ceux-ci « ne travailleront souvent même pas pour le France » (23% à Polytechnique, mais moins de 10% dans l'immense majorité des écoles d'ingénieurs), font des stages dans des entreprises et non dans des « associations et ONG », favorisent les étudiants « forts en math »... Toute personne connaissant un peu la situation comprendra l'absurdité de ces constats.

Ancienne Ecole Polytechnique

Alors, au final, que propose Terra Nova ? D'augmenter le nombre de places en Grandes Ecoles pour faire face au déficit d'ingénieurs et chercheurs français ? Eh bien non, leur proposition 17 prévoit de « réduire de 50% en 5 ans les places aux concours des grandes écoles », et de « diminuer de 33% en 5 ans le nombre de places en classes préparatoires ». De plus, cette proposition prévoit d'« augmenter les nombres d’admis dans les grandes écoles issus de l’université et n’étant pas passés par les prépas ». L'effet sera, pour le coup, mécanique : la sélection sera encore plus rude à l'entrée. Bien joué !

Terra Nova propose ensuite (proposition 18) de « rattacher administrativement les classes préparatoires aux universités ou aux PRES [pôles de recherche et d'enseignement supérieur, ndlr] ». Cette mesure serait difficile à mettre en place administrativement : les classes préparatoires se situent dans des établissements faisant presque toujours aussi office de lycées. De plus, les prépas ne sont clairement pas le lieu où il convient de faire de la recherche.

Proposition suivante, la numéro 19 : « confier au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche la tutelle principale de l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur ». C'est déjà le cas pour presque toutes les écoles d'ingénieurs françaises. Suivant !

Proposition 32 : « Rendre publique la liste des sujets d’écrit et d’oral des années précédentes pour chaque concours et examen ainsi que leur solution. C’est un phénomène peu connu mais très discriminatoire en faveur des grands lycées parisiens au détriment des lycées de province ». Ces sujets sont déjà présents sur les sites des différents concours, et les solutions sont très facilement trouvables sur Internet (ce qui est bien pratique quand on a des DM à rendre trop rapidement).

Proposition 35 : « Atténuer dans certains concours et examens les coefficients des matières socialement discriminatoires, et non directement liées aux professions auxquelles le concours donne accès ». Le débat est ici un peu déplacé, mais je ne suis pas favorable à une réévaluation massive des coefficients : un bon ingénieur ou chercheur (de même que pour les professions des autres filières) doit savoir bien parler français et anglais. Pour cela, des moyens sont déjà adaptés pour acquérir le niveau demandé pendant les classes préparatoires.


Globalement, Terra Nova me semble très loin de la réalité des Grandes Ecoles et des classes préparatoires. Pour revaloriser l'université française, il existe d'autres moyens que la casse d'une spécificité française qui marche.

Ce rapport a été assez peu décrié, malgré certaines idées étranges. Les mesures préconisées à propos des Grandes Ecoles ne surprendront pas les responsables socialistes ; en revanche, ceux-ci ne se sont guère émus de la proposition de tripler les droits d'inscription en licence et de les quadrupler en master, ce qui est plus étonnant.

Une agence de notation européenne, ou qui veut dépenser 300 millions d'euros

« Rien ne nous empêche de créer rapidement une agence de notations européenne. »
Dans son discours du 20 août dernier, à Clermont-Ferrand, Eva Joly affirme clairement son envie de créer une telle agence. Mais elle n'est pas la seule. Voyons ce que d'autres politiques en pensent.

Arnaud Montebourg, candidat à la primaire socialiste, affirme dans un communiqué son intention de « Démanteler les agences de notation privées, véritables dangers publics ». Selon lui, « l’Europe doit parallèlement organiser la création d’une agence de notation publique européenne. Elle serait indépendante, transparente et déconnectée des intérêts privés. »

On rencontre alors un premier problème : comment une agence de notation publique pourrait-elle être indépendante ? Comment une agence « chapeautée par la BCE », comme le veut Jean-Claude Juncker, pourrait-elle être crédible pour les acteurs économiques et ne pas être entachée de soupçons d'influences ? Le but, offrir une alternative à Standard and Poor's, Moody's et Fitch, serait alors compromis dès la création.


Le meilleur exemple d'une agence publique indépendante qui n'a pas fonctionné est en Chine, avec Dagong. Cette agence chinoise, fondée en 1994, n'a jamais fait référence dans le milieu, notamment à cause de ses notes plus élevées pour les créances chinoises et plus basses pour les occidentales. Ainsi, Dagong avait baissé la note de la dette américaine le 5 août dernier sans conséquence sur les marchés financiers.

L'indépendance d'une telle agence est donc capitale pour qu'elle soit utile. C'est pourquoi de riches familles allemandes soutiennent la création d'une agence de notation suisse, chargée au départ de noter seulement les crédits des entreprises. Une position à contre-courant des réflexions actuellement en cours au gouvernement allemand, démenties néanmoins par le ministre des Finances Wolfgang Schäuble.

Finalement, une telle agence est-elle nécessaire ? En quoi pourrait-elle changer la donne sur les marchés ? Faut-il dépenser 300 millions d'euros pour une structure qui n'aurait pour rôle que de confirmer les notes de ses concurrentes ? Je ne le pense pas. Une agence européenne ne serait utile que si elle était créée de manière totalement indépendante et transparente, sans intervention des Etats et sans financement par ceux-ci.


A défaut de créer une agence « publique et indépendante », certains voudraient supprimer les agences américaines, ou leur interdire de noter sévèrement les Etats ou entreprises en difficulté. Outre Arnaud Montebourg qui veut les « démanteler », Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche, s'exclame : « les agences de notation, à la niche ! ».

Ces dernières propositions sont, au mieux irréalistes, au pire irresponsables. Rappelons déjà que les trois principales agences de notation sont, pour le coup, indépendance, qui plus est américaines : un homme politique français ne pourra rien contre elles. On retrouve ensuite le débat sempiternel du thermomètre et de la température, de la Cassandre et de la prédiction : faut-il taper sur celui qui annonce les difficultés des Etats et des entreprises ou sur celui qui est en difficulté ?

Un argument souvent utilisé est alors d'accuser les entreprises de notation de créer ces difficultés. Cependant, si elles peuvent être à l'origine d'un mouvement d'entrainement de baisse des cours ou de méfiance sur les marchés, étaient-ce les agences de notation qui avaient acheté des titres de subprimes avant 2008 ? Etaient-ce Standard and Poor's, Moody's ou Fitch qui ont emprunté sur les marchés pendant des dizaines d'années pour être endetté à hauteur de 152,315 % en 2011, comme la Grèce (en dette nette par rapport au PIB) ? Non. Alors, faut-il se cacher derrière de belles paroles, une volonté politique de surface de ne pas se laisser « dominer par les marchés » ? Le meilleur moyen d'être moins dépendant de leurs « volontés », c'est d'être raisonnable. Pas de les supprimer.

Dette et déficits : qui a raison ?

Qui a raison ? Qui tapera le plus fort sur l'autre pour gagner la bataille des opinions ? Qui a su gérer la dette française ?
 

A force d'entendre tous les chiffres possibles et inimaginables sur la dette et les déficits français, j'ai eu envie de vérifier par moi-même certaines de ces allégations. Pour cela, j'ai pris des données dites primaires (en l'occurrence, les chiffres relevés par le FMI) et je les ai examinés de près. Je me suis particulièrement intéressé à deux aspects du débat : les déficits publics, et la dette française (nette - en €, et relative au PIB - en %).
 
 
Pour une meilleure compréhension de l'article, je rappelle brièvement les gouvernements successifs de ces trente dernières années :
  • 1981-1984 : Pierre Mauroy (PS)
  • 1984-1986 : Laurent Fabius (PS)
  • 1986-1988 : Jacques Chirac (RPR)
  • 1988-1991 : Michel Rocard (PS)
  • 1991-1992 : Edith Cresson (PS)
  • 1992-1993 : Pierre Bérégovoy (PS)
  • 1993-1995 : Edouard Balladur (RPR)
  • 1995-1997 : Alain Juppé (RPR)
  • 1997-2002 : Lionel Jospin (PS)
  • 2002-2005 : Jean-Pierre Raffarin (UMP)
  • 2005-2007 : Dominique de Villepin (UMP)
  • 2007-  ?  : François Fillon (UMP).

Déficits
 
 
On remarque une corrélation entre la croissance et les déficits publics : ainsi, sous les gouvernements socialistes du deuxième mandat de François Mitterrand, la croissance chute de +4,466 % en 1988 à - 0,817 % en 1993, pendant que les déficits publics augmentent de 2,634 % en 1988 à 6,421 % en 1993. Sur ce point, les trois gouvernements socialistes qui se sont succédés (Michel Rocard - Edith Cresson - Pierre Bérégovoy) n'ont pas été des modèles de vertu à la fois pour le dynamisme de l'économie française et pour une gestion saine des comptes publics.
De même, une croissance élevée (supérieure à 3 %) entre 1998 permet au gouvernement Jospin de diminuer les déficits de l'Etat, alors que la crise de 2008 (chute de la croissance de 2,323 % en 2007 à -2,546 en 2009) entraine mécaniquement une augmentation des déficits publics, qui se creusent jusqu'à 7,742 % en 2010. Signalons toutefois que la croissance n'est pas le seul indicateur à prendre en compte pour expliquer des déficits élevés ou faibles : ainsi, des privatisations (plus de 30 G€ sous le gouvernement Jospin) peuvent diminuer les déficits publics, tandis que des diminutions de recettes fiscales peuvent les augmenter.

 
Dette
 
En ces temps de débats budgétaires, d'empoignades sur la règle d'or et de discours enfumés pour savoir qui est le mieux à même de régler la question de la dette de la France, une affirmation revient souvent dans la bouche de la gauche française : "nous sommes les seuls à avoir diminué la dette depuis 30 ans".
 
Vérifions donc cette affirmation :
  • Entre 1983 et 1986, la dette nette a été multipliée par 2,41
  • Entre 1988 et 1993, la dette nette a été multipliée par 1,78
  • Entre 1997 et 2002, la dette nette a été multipliée par 1,21.
En regardant précisément les chiffres de la dette nette française, on remarque qu'aucun gouvernement socialiste n'a jamais réussi à la diminuer d'une année sur l'autre. Mieux, un seul gouvernement y est arrivé, celui de Dominique de Villepin : de 978,164 G€ en 2005, la dette nette diminue à 974,513 G€ en 2006.
 
Cependant, il est plus commode de considérer la dette en fonction du PIB. Sous cet angle de vue, le poids de la dette diminue trois fois : entre 1986 et 1987 (gouvernement Chirac), entre 1998 et 2000 (gouvernement Jospin), et entre 2005 et 2006 (gouvernement Villepin). Les socialistes ne sont alors pas les seuls à avoir diminué le poids de la dette française.
 
Tentons encore une fois de sauver l'affirmation socialiste : peut-être les socialistes sont-ils les seuls à avoir réduit le poids de la dette, en considérant les cinq années du gouvernement Jospin dans leur ensemble ? Là encore, c'est faux : trois gouvernements ont réduit le poids de la dette :
  • Entre 1986 et 1988, la dette passe de 25,316 % à 24,532 % (soit - 0,784 % pour le gouvernement Chirac, en deux ans)
  • Entre 1997 et 2002, la dette passe de 49,609 % à 49,148 % (soit - 0,461 % pour le gouvernement Jospin, en cinq ans)
  • Entre 2005 et 2007, la dette passe de 56,670 % à 54,080 % (soit - 2,590 % pour le gouvernement Villepin, en deux ans).
Le gouvernement Jospin n'est donc ni le seul vertueux de ces trente dernières années, ni le plus vertueux.

 
Vérifions maintenant une autre affirmation socialiste :

A 0'50" : "Cette dette est passée de 900 millions d'euros à 1,8 milliards d'euros".
Sur cette vidéo officielle du Parti Socialiste (visible ici), il est dit qu'en 10 ans, la droite a fait doubler la dette de la France". Vérifions cela.
Les chiffres donnés par ce porte-parole sont assurément faux : outre le facteur 1000 manquant, la dette s'élevait à 761,077 G€ en 2002 (et non à 900 G€), et à 1565,765 G€ neuf ans plus tard (et non dix ans, et non plus à 1,8 T€). Néanmoins, la "droite" a effectivement doublé la dette depuis le dernier gouvernement socialiste : entre 2002 et 2011, elle a été multipliée par 2,06.
 
Depuis 1984, la dette nette vient pour 346 milliards d'euros des gouvernements de gauche et pour 1136 milliards d'euros des gouvernements de droite (dont 573 milliards d'euros - 50,41 % - pour le gouvernement Fillon).

 
Au final, qui a plutôt été vertueux pour maintenir un déficit bas ou pour assainir les comptes publics ?
En regardant les données présentées ci-dessus, on peut donner des bons points à quatre gouvernements :
  • Les gouvernements Chirac, Jospin et Villepin pour avoir maintenu un poids de la dette constant (notons néanmoins que le gouvernement Jospin a augmenté la dette nette)
  • Le gouvernement Juppé pour avoir redressé une situation désastreuse des gouvernements précédents.
De même, on peut désigner les trois plus mauvais gouvernements dans la gestion des déficits et de la dette publique : les gouvernements Cresson-Bérégovoy, Balladur et Fillon.

 
La gauche française a-t-elle été vertueuse ? Pendant le second mandat de François Mitterrand, non, et sous le gouvernement Jospin, elle a été raisonnable. La droite française est-elle la cause de l'endettement massif de la France ? Pendant les gouvernements Chirac, Juppé et Villepin, non, mais sous Balladur, Raffarin et Fillon, assurément.

 
En réalité, la situation est donc plus compliquée qu'une opposition simpliste gauche/droite : chaque côté de l'échiquier politique est responsable d'une partie de la dette, mais à des niveaux variables selon les gouvernements. Au lieu de se jeter la pierre, le PS et l'UMP devraient plutôt réfléchir à des mesures concrètes de réduction du déficit sans austérité excessive. Pour cette raison, j'approuve la règle d'or proposée par l'UMP : il faut regarder l'avenir et ne plus commettre les mêmes erreurs.
 
J'entends bien les arguments du Parti Socialistes ou d'autres partis de gauche et d'extrême-gauche, et je trouve aussi que Nicolas Sarkozy est très loin d'être un exemple de vertu pour une gestion raisonnable des comptes publics. Cependant, les erreurs commises dans le passé (et certaines encore dans le présent) justifient-elles une opposition de la gauche qui n'est ici qu'idéologique ? Au fond, de quoi les socialistes ont-ils peur ? De devoir revoir leur projet pour 2012 afin qu'il soit enfin économiquement viable ? Cela ne pourrait que faire du bien, au Parti Socialiste et à la France.

 
Notes : vous pouvez retrouver le document du FMI ici. Les graphiques sont de ma conception. 1 G€ = 1 milliard d'euros. 1 T€ = 1 000 milliards d'euros.

jeudi 16 juin 2011

CAS : La voiture de demain

Hier matin, j'étais au Centre d'Analyse Stratégique (CAS), institution d'expertise et d'aide à la décision placée auprès du Premier ministre. Au programme, un rapport sur « La voiture de demain » était présenté, accompagné de quelques réflexions et propositions sur l'avenir des voitures thermiques, hybrides ou électriques actuelles.


Le postulat de départ est simple : le prix du pétrole va fatalement augmenter dans les prochaines décennies pendant que l'offre va diminuer, de nouveaux marchés pour l'automobile vont se consolider dans les pays émergents, et les émissions de gaz à effet de serre et autres polluants devront être limités. D'autres problèmes risquent alors d'apparaitre, comme les embouteillages monstres déjà présents en Chine, ou un besoin accru d'infrastructures.

Le modèle actuellement présent dans les pays occidentaux n'est pas exportable dans les pays émergents. Le rapport à la voiture doit alors être modifié, pendant que les véhicules doivent être améliorés. Des véhicules électriques ou hybrides sont régulièrement envisagés, mais il est actuellement impossible de développer massivement l'offre.

Les batteries électriques sont peu autonomes, le temps de recharge est trop élevé, les infrastructures actuelles ne sont pas suffisantes (oubliez l'image de la voiture branchée à votre 220 V, ça ne tiendrait pas plus de deux heures). Un véhicule uniquement électrique est alors adapté pour des trajets courts, et est idéal dans le cadre de véhicules de fonction comme ceux de la Poste, ou pour des systèmes de partage de voiture comme Autolib'. Cependant, le prix reste très élevé.

D'ici l'arrivée de nouvelles technologies de batteries, les véhicules thermiques doivent être améliorés, et électrifiés pour engager la transformation. Ainsi, les batteries peuvent être rechargées lors du freinage, afin de récupérer ce surplus d'énergie.

Le CAS a finalement formulé six propositions :
  • Modifier les méthodes réglementaires de mesure des consommations énergétiques et des émissions de CO2 afin qu'elles soient plus représentatives de l'utilisation réelle des véhicules
  • Poursuivre les efforts d'amélioration de l'efficacité énergétiques des véhicules à moteur thermique par un durcissement de la réglementation
  • Obliger les constructeurs à doter les véhicules neufs d'un dispositif coupant automatiquement le moteur lorsque le véhicule est à l'arrêt
  • Réduire le stationnement résidentiel en augmentant progressivement son tarif
  • Finaliser sans tarder les normes que doivent respecter les bornes de recharge pour garantir la sécurité des installations
  • Renforcer progressivement l'incitation à l'achat de véhicules neufs peu polluants.

A mon avis, les principales mesures à adopter concernent de nouvelles normes européennes pour fixer des cadres stables de développement. Ainsi, les cycles de conduite ne sont pas adaptés à l'usage réel d'un véhicule électrique ; ou encore, les recherches de nouveaux modèles de batteries ne sont pas coordonnées.

Pour la petite anecdote, il existe déjà un système de bonus/malus au niveau européen pour inciter les constructeurs automobiles à vendre des voitures moins polluantes. L'émission moyenne de CO2 par km est calculée, et des pénalités sont appliquées quand elle dépasse les 130 g/km. Avec une spécificité intéressante : un véhicule très peu polluant (moins de 40 g/km, comme les voitures électriques) compte pour 3,5 dans la moyenne.

Prenons en exemple deux constructeurs qui vendent en 2012 un million de véhicules, avec une concentration moyenne en CO2 de 140 g/km. Le premier constructeur paiera une prime de 710 millions d'euros pour dépassement du seuil autorisé. Au contraire, le deuxième constructeur, qui aura eu la bonne idée de vendre 10 000 véhicules électriques en plus, aura une prime à payer de seulement 39 millions d'euros. Soit un gain de 671 millions d'euros, ou 70 000 € par voiture électrique.

Au final, ce système favorisera les constructeurs qui vendront peu de véhicules propres, tandis que ceux qui essaient de diminuer la pollution de tout leur parc immobilier seront moins récompensés.