samedi 27 août 2011

Dette et déficits : qui a raison ?

Qui a raison ? Qui tapera le plus fort sur l'autre pour gagner la bataille des opinions ? Qui a su gérer la dette française ?
 

A force d'entendre tous les chiffres possibles et inimaginables sur la dette et les déficits français, j'ai eu envie de vérifier par moi-même certaines de ces allégations. Pour cela, j'ai pris des données dites primaires (en l'occurrence, les chiffres relevés par le FMI) et je les ai examinés de près. Je me suis particulièrement intéressé à deux aspects du débat : les déficits publics, et la dette française (nette - en €, et relative au PIB - en %).
 
 
Pour une meilleure compréhension de l'article, je rappelle brièvement les gouvernements successifs de ces trente dernières années :
  • 1981-1984 : Pierre Mauroy (PS)
  • 1984-1986 : Laurent Fabius (PS)
  • 1986-1988 : Jacques Chirac (RPR)
  • 1988-1991 : Michel Rocard (PS)
  • 1991-1992 : Edith Cresson (PS)
  • 1992-1993 : Pierre Bérégovoy (PS)
  • 1993-1995 : Edouard Balladur (RPR)
  • 1995-1997 : Alain Juppé (RPR)
  • 1997-2002 : Lionel Jospin (PS)
  • 2002-2005 : Jean-Pierre Raffarin (UMP)
  • 2005-2007 : Dominique de Villepin (UMP)
  • 2007-  ?  : François Fillon (UMP).

Déficits
 
 
On remarque une corrélation entre la croissance et les déficits publics : ainsi, sous les gouvernements socialistes du deuxième mandat de François Mitterrand, la croissance chute de +4,466 % en 1988 à - 0,817 % en 1993, pendant que les déficits publics augmentent de 2,634 % en 1988 à 6,421 % en 1993. Sur ce point, les trois gouvernements socialistes qui se sont succédés (Michel Rocard - Edith Cresson - Pierre Bérégovoy) n'ont pas été des modèles de vertu à la fois pour le dynamisme de l'économie française et pour une gestion saine des comptes publics.
De même, une croissance élevée (supérieure à 3 %) entre 1998 permet au gouvernement Jospin de diminuer les déficits de l'Etat, alors que la crise de 2008 (chute de la croissance de 2,323 % en 2007 à -2,546 en 2009) entraine mécaniquement une augmentation des déficits publics, qui se creusent jusqu'à 7,742 % en 2010. Signalons toutefois que la croissance n'est pas le seul indicateur à prendre en compte pour expliquer des déficits élevés ou faibles : ainsi, des privatisations (plus de 30 G€ sous le gouvernement Jospin) peuvent diminuer les déficits publics, tandis que des diminutions de recettes fiscales peuvent les augmenter.

 
Dette
 
En ces temps de débats budgétaires, d'empoignades sur la règle d'or et de discours enfumés pour savoir qui est le mieux à même de régler la question de la dette de la France, une affirmation revient souvent dans la bouche de la gauche française : "nous sommes les seuls à avoir diminué la dette depuis 30 ans".
 
Vérifions donc cette affirmation :
  • Entre 1983 et 1986, la dette nette a été multipliée par 2,41
  • Entre 1988 et 1993, la dette nette a été multipliée par 1,78
  • Entre 1997 et 2002, la dette nette a été multipliée par 1,21.
En regardant précisément les chiffres de la dette nette française, on remarque qu'aucun gouvernement socialiste n'a jamais réussi à la diminuer d'une année sur l'autre. Mieux, un seul gouvernement y est arrivé, celui de Dominique de Villepin : de 978,164 G€ en 2005, la dette nette diminue à 974,513 G€ en 2006.
 
Cependant, il est plus commode de considérer la dette en fonction du PIB. Sous cet angle de vue, le poids de la dette diminue trois fois : entre 1986 et 1987 (gouvernement Chirac), entre 1998 et 2000 (gouvernement Jospin), et entre 2005 et 2006 (gouvernement Villepin). Les socialistes ne sont alors pas les seuls à avoir diminué le poids de la dette française.
 
Tentons encore une fois de sauver l'affirmation socialiste : peut-être les socialistes sont-ils les seuls à avoir réduit le poids de la dette, en considérant les cinq années du gouvernement Jospin dans leur ensemble ? Là encore, c'est faux : trois gouvernements ont réduit le poids de la dette :
  • Entre 1986 et 1988, la dette passe de 25,316 % à 24,532 % (soit - 0,784 % pour le gouvernement Chirac, en deux ans)
  • Entre 1997 et 2002, la dette passe de 49,609 % à 49,148 % (soit - 0,461 % pour le gouvernement Jospin, en cinq ans)
  • Entre 2005 et 2007, la dette passe de 56,670 % à 54,080 % (soit - 2,590 % pour le gouvernement Villepin, en deux ans).
Le gouvernement Jospin n'est donc ni le seul vertueux de ces trente dernières années, ni le plus vertueux.

 
Vérifions maintenant une autre affirmation socialiste :

A 0'50" : "Cette dette est passée de 900 millions d'euros à 1,8 milliards d'euros".
Sur cette vidéo officielle du Parti Socialiste (visible ici), il est dit qu'en 10 ans, la droite a fait doubler la dette de la France". Vérifions cela.
Les chiffres donnés par ce porte-parole sont assurément faux : outre le facteur 1000 manquant, la dette s'élevait à 761,077 G€ en 2002 (et non à 900 G€), et à 1565,765 G€ neuf ans plus tard (et non dix ans, et non plus à 1,8 T€). Néanmoins, la "droite" a effectivement doublé la dette depuis le dernier gouvernement socialiste : entre 2002 et 2011, elle a été multipliée par 2,06.
 
Depuis 1984, la dette nette vient pour 346 milliards d'euros des gouvernements de gauche et pour 1136 milliards d'euros des gouvernements de droite (dont 573 milliards d'euros - 50,41 % - pour le gouvernement Fillon).

 
Au final, qui a plutôt été vertueux pour maintenir un déficit bas ou pour assainir les comptes publics ?
En regardant les données présentées ci-dessus, on peut donner des bons points à quatre gouvernements :
  • Les gouvernements Chirac, Jospin et Villepin pour avoir maintenu un poids de la dette constant (notons néanmoins que le gouvernement Jospin a augmenté la dette nette)
  • Le gouvernement Juppé pour avoir redressé une situation désastreuse des gouvernements précédents.
De même, on peut désigner les trois plus mauvais gouvernements dans la gestion des déficits et de la dette publique : les gouvernements Cresson-Bérégovoy, Balladur et Fillon.

 
La gauche française a-t-elle été vertueuse ? Pendant le second mandat de François Mitterrand, non, et sous le gouvernement Jospin, elle a été raisonnable. La droite française est-elle la cause de l'endettement massif de la France ? Pendant les gouvernements Chirac, Juppé et Villepin, non, mais sous Balladur, Raffarin et Fillon, assurément.

 
En réalité, la situation est donc plus compliquée qu'une opposition simpliste gauche/droite : chaque côté de l'échiquier politique est responsable d'une partie de la dette, mais à des niveaux variables selon les gouvernements. Au lieu de se jeter la pierre, le PS et l'UMP devraient plutôt réfléchir à des mesures concrètes de réduction du déficit sans austérité excessive. Pour cette raison, j'approuve la règle d'or proposée par l'UMP : il faut regarder l'avenir et ne plus commettre les mêmes erreurs.
 
J'entends bien les arguments du Parti Socialistes ou d'autres partis de gauche et d'extrême-gauche, et je trouve aussi que Nicolas Sarkozy est très loin d'être un exemple de vertu pour une gestion raisonnable des comptes publics. Cependant, les erreurs commises dans le passé (et certaines encore dans le présent) justifient-elles une opposition de la gauche qui n'est ici qu'idéologique ? Au fond, de quoi les socialistes ont-ils peur ? De devoir revoir leur projet pour 2012 afin qu'il soit enfin économiquement viable ? Cela ne pourrait que faire du bien, au Parti Socialiste et à la France.

 
Notes : vous pouvez retrouver le document du FMI ici. Les graphiques sont de ma conception. 1 G€ = 1 milliard d'euros. 1 T€ = 1 000 milliards d'euros.

3 commentaires:

  1. La dette totale des administrations publiques était selon l'INSEE de 912 Mds€ en 2002 dont 746 Mds€ pour l'État et de 1591,2 Mds€ en 2010 comme tu le dis (contre 910,8 et 1591,1 selon Eurostat), ça parait étonnant qu'entre temps la dette ait pu augmenter de 200 Mds€ en 1 ans ou alors alors ce serait sur la base de prévisions jusqu'à 2012 ?

    En tout état de cause, ce total prend en compte la dette des collectivités territoriales. Selon l'INSEE, la dette a baissé en % mais pas en net sous Villepin idem selon Eurostat. C'est le total qui pris en compte même si la dette des collectivités n'est pas vraiment de la responsabilité de l'État (sauf ce qui concerne la non compensation intégrale des compétences transférées aux collectivités territoriales).

    Pour ce qui est du reste, il ne s'agit que d'un système contraint et d'une confiance stupide dans les recettes néolibérales avec des baisses fiscales, exonérations et destructions d'emplois industriels qui ont inexorablement creusé les déficits. Et baisser les dépenses publiques pour que dans le même temps l'endettement des ménages augmente, on m'expliquera l'intérêt de passer d'une dette mutualisée (qu'il saut sans doute stabiliser puis réduire en en revenant sur les baisses d'impôts inconséquentes) qui ne pèse pas sur les ménages à une dette privée qui pèsera sur leurs budgets. Je n'y vois qu'une seule explication, la volonté de réduire toujours plus l'État providence.

    Il faut préciser de plus que les dépenses publiques étaient stable et n'ont significativement bondi qu'en 2009 et 2010 à cause de la crise précisément, crise dont l'origine est la crise des subprimes américains issue d'un excès de dette des ménages américains. Quand Frédéric Lordon parle de "reconquista des possédants", il est loin d'avoir tort.

    Tous les liens :
    http://www.insee.fr/fr/indicateurs/cnat_annu/base_2005/donnees/xls/t_3101.xls
    http://epp.eurostat.ec.europa.eu/tgm/refreshTableAction.do?tab=table&plugin=1&pcode=teina225&language=fr
    http://epp.eurostat.ec.europa.eu/tgm/table.do?tab=table&init=1&language=fr&pcode=tec00023&plugin=1
    http://blog.mondediplo.net/2010-05-26-La-dette-publique-ou-la-reconquista-des

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  2. La différence de chiffres entre les données du FMI que j'ai utilisées et les données de l'INSEE ou d'Eurostat que t'es allé chercher (juste pour le plaisir de me contredire) vient d'une définition différence de la dette.

    J'utilise en effet la "General government net debt", qui correspond à ce que l'Etat et les collectivités territoriales doivent maintenant. Au contraire, les chiffres que tu annonces sont la "General government gross debt", qui correspond à la dette nette assortie de prévisions d'intérêts, d'assurances, d'emprunts, de titres de créance, de la valeur de l'or monétaire...

    Le tout explique l'écart de 9,7 % en moyenne.


    L'intérêt de la dette privée par rapport à la dette publique, c'est qu'elle ne pèse pas sur la collectivité toute entière, et qu'elle est plus facilement contrôlable. Si crise des subprimes il y a eu, c'est avant tout à cause de la culture de l'endettement des ménages américains, au-delà de toute nécessité. Il était courant de s'endetter pour acheter des voitures (pas une, ça suffirait pas), de l'électroménager (avec une fabrique à glaçons, pour le fun), des voyages (le plus loin possible), des sorties... A tel point que l'endettement moyen des ménages américains avoisinait les 160 %, si mes souvenirs sont bons.

    Seulement, cet endettement est choisi, contrairement à l'endettement public qui est subi.

    D'autre part, contrairement à ce que tu (et un certain nombre de responsables socialistes) sembles penser, la dette publique pèse sur les ménages. Il suffit de regarder ce qu'il se passe en Grèce pour s'en rendre compte.

    Quant à l'Etat providence, aujourd'hui, il est dépassé : on n'a plus les moyens de le soutenir financièrement, parce qu'on a trop tiré dessus depuis trente ans. Ce qui était raisonnable, c'était l'Etat providence de CNR, pas celui de Mitterrand.

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  3. Ce n'est pas pour le plaisir de te contredire mais pour la dette publique on raisonne au sens de Maastricht, je n'ai rien inventé.

    Comparer la France et la Grèce n'a pas beaucoup de sens et en général dans cette crise des dettes souveraines en Europe, les causes sont diverses, ainsi l'Espagne et l'Irlande n'avaient pas une dette publique élevée contrairement à la Grèce et pourtant avec l'effondrement du secteur bancaire en Irlande et immobilier en Espagne, la situation est devenue difficile. Il faut rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, l'Espagne et l'Irlande étaient présentés comme des exemples à suivre pour nos brillants esprits.

    Quant à la culture "américaine" de la dette, avec la réduction des dépenses publiques et une répartition injuste des richesses, nous irons vers cela ne te fais aucun doute puisque bien souvent les revenus du travail sont insuffisant à assurer une vie décente aux gens. Je t'invite à regarder la structuration de la dette britannique, tu verras que leur Etat est peu endetté mais que les ménages le sont beaucoup. http://www.marianne2.fr/photo/art/default/899147-1063719.jpg?v=1297163208

    La situation de la France n'a rien de catastrophique, l'épargne des ménages est importante, l'endettement relativement peu élevé même s'il a fatalement augmenté ces dernières années. En ce qui concerne la hausse de la dette publique : "Depuis 1999, l’ensemble des mesures nouvelles prises en matière de prélèvements obligatoires ont ainsi réduit les recettes publiques de près de 3 points de PIB : une première fois entre 1999 et 2002 ; une deuxième fois entre 2006 et 2008. Si la législation était restée celle de 1999, le taux de prélèvements obligatoires serait passé de 44,3 % en 1999 à 45,3 % en 2008. En pratique, après réduction des prélèvements, ce taux a été ramené à 42,5 %. À titre d’illustration, en l’absence de baisses de prélèvements (et à taux d’intérêt et dépenses inchangés), la dette publique serait environ
    20 points de PIB plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’est en réalité générant ainsi une économie
    annuelle de charges d’intérêt de 0,5 point de PIB."
    Page 13 : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/104000234/0000.pdf

    Donc on voit bien qu'il ne s'agit pas uniquement d'un problème de dépense et qu'on a volontairement asséché les recettes croyant au miracle néo libéral de la baisse des impôts ou dans une volonté de revenir sur cet Etat providence qui hier comme aujourd'hui reste un des biens de notre pays et qui nous permet de jouir d'une qualité de vie et de soins parmi les meilleurs dans le monde.

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