samedi 4 juin 2011

Gestion de l'eau : partenariats public/privé ou régies publiques ?

Avant de lire cet article et de me demander mes sources, je vous conseille de regarder le film Water Makes Money, de Leslie Franke et Herdolor Lorenz, produit en collaboration avec Arte. Mais tout peut être compris sans l'avoir vu, je vous rassure.

Doit-on privilégier la place des entreprises françaises dans les marchés mondiaux, ou le pouvoir d'achat des clients ? Voilà une question assez existentielle, qui se pose, de manière générale, à chaque privatisation de service public.

Jusqu'au début des années 1980, le modèle gaulliste voulait privilégier un partenariat gagnant-gagnant entre les entreprises et les citoyens. Les transports, l'énergie, l'eau, les télécom, l'audiovisuel étaient gérés par l'Etat et les municipalités, dans le souci de fournir au citoyen, pas encore considéré comme un client, un service optimal en qualité et en coût.


L'autre jour, je parlais du TGV avec un quinquagénaire. Il me raconta alors qu'au début des années 1980, il pouvait faire un aller-retour Marseille-Paris pour 10 francs. Aujourd'hui, les prix se situent entre 90 € et 360 €. La qualité de service a-t-elle donc tant augmenté pour qu'on puisse justifier une multiplication du prix par 60 ? L'inflation n'explique pas tout !


Tout a donc changé. A la faveur de privatisations massives depuis le gouvernement Chirac en 1988, la France a peu à peu perdu ses principales entreprises publiques. Sous la pression des investisseurs et de la Bourse, des emplois ont alors été supprimés, des services non rentables abandonnés, pendant que l'offre sur les services les plus en vue s'enrichissait.

Un bon exemple est de regarder la situation des télécom. Pendant que France Télécom - Orange est en proie à des cas de suicides chez ses employés, et que les zones rurales sont encore souvent en zone non dégroupée pour l'accès à Internet, on me propose pas moins de 45 offres différentes en banlieue parisienne !

A première vue, les privatisations sont le meilleur moyen de nuire au consommateur : baisse de la qualité, recherche de rentabilité, augmentation des prix, mauvaise répartition des bénéfices au profit de méchants capitalistes. Alors, pourquoi les gouvernements successifs ont-ils tous, depuis 23 ans, tant privatisé ?

Les raisons souvent invoquées sont le virage idéologique contre les nationalisations, le désengagement de l'Etat, la diminution des coûts en salaires de fonctionnaires, le respect de règlements européens sur la libre-concurrence, la recherche de liquidités. L'évolution des modes de distribution de l'eau est typique de ce symptôme.


Auparavant, l'eau était gérée par des régies publiques (RP), dépendant directement des conseils municipaux. Depuis, des entreprises privées, dont GDF-Suez et Veolia, se partagent l'attribution de partenariats public-privé (PPP).

Contrairement à leur nom, les PPP donnent toute liberté aux entreprises privées. Ces dernières gèrent le réseau, fixent les prix, et distribuent l'eau. La municipalité se contente de louer les infrastructures, obtenant en contrepartie certains avantages financier qui peuvent vite se révéler dangereux (cf. Water Makes Money).

La tentation est grande pour les entreprises d'en profiter, et Jean-Luc Touly, ancien cadre chez Veolia, le dénonce : pourquoi réparer les fuites (qui représentent en moyenne 14% de la consommation d'eau dans les PPP, contre 7% pour les RP) quand l'eau gâchée est facturée en plus au client ?

Certes, ces entreprises diront que le récent retour de la ville de Paris à des régies publiques nuit à leur image internationale. Des municipalités étrangères leur demanderaient même comment elles veulent gagner l'attribution d'un marché public alors même qu'elles sont indésirables chez elles. Mais cette logique doit-elle tolérer tous les abus actuels ?

Je pense qu'une autre solution doit être envisagée. Les entreprises privées sont nécessaires pour créer des emplois qualifiés et bien payés. Mais les municipalités sont plus concernées par l'intérêt de leurs concitoyens. Je propose donc un nouveau type de partenariat : le privé au service du public.

Il s'agirait tout simplement de laisser la gestion du parc aquatique aux actuelles entreprises ou régies publiques, mais en l'encadrant mieux. Il serait alors opportun de fixer des contraintes de prix, de qualité de l'eau et d'entretien du réseau. Les conséquences seraient globalement infimes pour les régies publiques, et favorables aux clients des PPP actuels. Les entreprises privées conserveraient alors une bonne image à l'international, même s'il se pourrait qu'elles distribuent moins de dividendes à ses actionnaires. Ce qui, au fond, ne serait qu'un juste retour des choses.

Pour information :

  • Traditionnellement, la gauche française préfère les régies publiques, tandis que la droite française favorise les partenariats public-privé.
  • Des initiatives ont déjà été lancées pour revenir aux régies publiques (« remunicipalisation »), comme à Grenoble, ou à Paris sous l'impulsion du maire Bertrand Delanoë.
  • L'attribution de la gestion locale de l'eau par un PPP se fait par un contrat de partenariat de 10 à 35 ans.
  • En Ile-de-France, la gestion est regroupée pour 142 communes, sous l'autorité du Syndicat des Eaux D'Ile-de-France (SEDIF). Le contrat avec Veolia a été renouvelé en 2011, pour une durée de 12 ans.
  • Veolia réalise 12,128 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an dans le secteur de l'eau, ce qui en fait le numéro 1 mondial des services de l'eau. Suez Environnement (eau et déchets) réalise un chiffre d'affaire de 13,869 milliards d'euros par an.

2 commentaires:

  1. Un article interessant, nourrit d'exemple ; je confirme l'exemple que tu prends au sujet de France Télécom et de la SNCF ayant connu de près ces deux organismes.

    J'ai aussi pu en apprendre plus au sujet de l'eau. Donc un MERCI :)

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  2. J'te dois des commentaires, mais je pense que tu as fait le tour de la question donc ... J'ai rien à dire x)

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