lundi 23 mai 2011

De la passion sur les classes préparatoires

Sujet ô combien sensible politiquement, les classes préparatoires déchaînent en ce moment les foules (de politiques) et suscitent toutes les passions. Alors que le Parti Socialiste vient d'entériner le volet « enseignement supérieur » de son projet à vocation présidentielle, les filières dites sélectives sont pointées du doigt. Voyons pourquoi.


Commençons par les idées reçues.

Déjà, l'enseignement en classe préparatoire coûterait trois fois plus cher que l'enseignement en université. C'est faux ! D'après le site du ministère de l'éducation nationale, un étudiant en prépa coûte 13 880 € par an en moyenne, contre 9 280 € par an en moyenne pour un étudiant du Supérieur. Sur le site du ministère de l'enseignement supérieur, il est indiqué qu'un étudiant en CPGE coûte 14 850 € par an, contre 10 220 € en université publique. Bien loin du facteur 3 annoncé notamment par le Parti Socialiste.

Ensuite, les prépas ne sont remplies que de fils de riches. Faux ! D'après le ministère de l'éducation nationale (page 343), 25% des élèves des CPGE sont boursiers. C'est moins que les 32,5% de l'université, mais ce n'est pas négligeable. Il y a certes un effet de « reproduction sociale », mais moins apparent que ce qui est cru, et dû également à d'autres facteurs que la prépa elle-même.

Autre idée reçue, il serait impossible pour un enfant venant de milieu social défavorisé de rentrer en prépa. Faux encore, puisque l'inscription se fait par le site http://admission-postbac.fr , le portail national et automatisé d'accès à l'enseignement supérieur, où tous peuvent s'inscrire partout. Les dossiers sont ensuite envoyés à des commissions dans chaque classe préparatoire, qui les classe sans connaitre les conditions de revenus des parents. Il ne peut donc pas y avoir de discrimination a priori sur ce point.

Autrement, les classes préparatoires privilégieraient les étudiants sur Paris. J'ai instinctivement envie de dire, comme les universités. Mais en fait, il existe de nombreuses classes préparatoires très bien cotées en province : le lycée du Parc et les Lazaristes à Lyon, le lycée Châteaubriand à Rennes, Clémenceau à Nantes, Pierre-de-Fermat à Toulouse, Champollion à Grenoble, Masséna à Nice, Corneille à Rouen et Faidherbe à Lille font par exemple partie du top 20 des prépa Maths-Physique selon le classement de L'Etudiant. A part les grands lycées parisiens qui raflent effectivement beaucoup de places aux concours, chacun a ses chances, à Paris ou en province. D'autant que l'organisation des concours n'est pas exclusivement sur Paris.

Il se dit également que les classes préparatoires et les Grandes Ecoles sont gratuites, contrairement à la fac. Désolé, mais j'ai payé 180 € pour cette deuxième année de prépa, sans compter ma mutuelle étudiante qui ne me couvre d'ailleurs toujours pas. Et les Grandes Ecoles sont soumises à des frais d'inscription élevés, allant de 550 € à plus de 5000 € par an.

Enfin, les classes préparatoires seraient mauvaises parce qu'elles conduisent à des filières encore plus sélectives, les Grandes Ecoles. Eh oui, il faut bien l'avouer, il y a peu de places à Polytechnique, HEC ou aux Ecoles Normales Supérieures. Mais en sciences et en économie, il y a plus de places en écoles que de candidats. Au final, un étudiant en prépa, s'il passe les concours correspondant à son niveau, est donc assuré d'avoir au moins une place en école. Sauf après une khâgne, mais aucun projet politique n'en parle. A ce propos, je pense qu'il faut ouvrir les concours de certaines écoles, comme c'est actuellement en cours.


Maintenant, voyons ce que les différents mouvement et partis politiques en disent.

Chez les socialistes, c'est très confus. Le Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) a ouvert le bal en demandant la suppression des classes préparatoires et des Grandes Ecoles, au profit de l'université qui regrouperait ainsi 50% d'une classe d'âge. Ensuite, le projet du PS est sorti, ne mentionnant pas les classes préparatoires, alors que Martine Aubry s'était engagé à reprendre l'intégralité des propositions des MJS. Ensuite, le parti a trouvé sa dernière idée, pendant ses débats sur l'éducation supérieure : des échanges d'étudiants entre universités et prépas.

Sur ce dernier point, on peut déjà imaginer le bazar que ça créerait. De ce que j'en ai compris, l'idée consisterait à envoyer des étudiants de prépa en fac, et vice-versa, pour créer des liens et harmoniser les méthodes de travail. Imaginez le pire... En sachant qu'en filière scientifique, les programmes ne sont pas les mêmes, le niveau non plus, et qu'il faut trois ans de fac pour préparer les concours d'entrée en école d'ingénieur, contre 2 en prépa.

Du côté de République Solidaire, le projet prévoit que « des places dans toutes les filières sélectives (CPGE, STS, IUT) doivent être réservées aux 5% des élèves de chaque lycée ayant eu les meilleurs résultats au baccalauréat ». C'est à mon sens une idée intéressante à opposer à tous ceux qui croient que le mérite et le travail ne suffisent pas pour entrer en prépa (alors que, là-encore, il y a assez de places pour tout le monde), mais je ne vois pas comment elle pourrait être appliquée.

Chez le Parti Communiste Français, il faut « réunifi[er] les universités et les grandes écoles ».

Chez le Front National, « Cette partie du programme sera accessible prochainement ». On a hâte !

Chez Europe Ecologie Les Verts et le Modem, on ne parle pas de ce sujet.


Maintenant, je tiens à rappeler quelques évidences parfois oubliées. Les classes préparatoires forment les étudiants de manière efficace : être un ingénieur français est reconnu dans le monde, nos entreprises embauchent, et le secteur de la recherche a besoin d'étudiants aussi bien préparés. Rappelons qu'en débit de son agonie rampante, la recherche française est à l'honneur, puisque la France reste le premier pays mondial pour la recherche mathématique au vu du nombre de médailles Fields obtenues, et le CNRS est le deuxième contributeur en nombre d'articles de la prestigieuse revue américaine Nature. Il faut savoir que les Ecoles Normales Supérieures, d'Ulm, de Cachan et de Lyon, jouent à cet égard un rôle prépondérant.

Ensuite, je pense qu'il faut arrêter d'avoir peut de la réussite, quitte à y investir un peu plus. Sans ingénieurs, sans chercheurs, sans économistes, que serait la France ? Une terre ancestrale de culture du coquelicot et de la chasse au sanglier ! La France a besoin de gens formés, diplômés et compétents.

Enfin, je me refuse au nivellement par le bas. Un rapprochement des classes préparatoires et des Grandes Ecoles avec les universités peut sembler intéressant, mais uniquement à condition que les universités offrent les mêmes opportunités. Et aujourd'hui, force est de constater que ce n'est pas le cas. Au lieu de vouloir mélanger 50% d'une classe d'âge dans des amphithéâtres surchargés (et des groupes de TD en sureffectif) pour aboutir encore une fois à une banalisation des diplômes et des formations, je prône plutôt de nouveaux financements pour les universités (mais pas de hausse des frais d'inscription !) et le développement des filières sélectives, dans les universités.


En bref, le système actuel des classes préparatoires est déjà très bien. C'est à mon sens une spécificité française qui a fait, et qui continue de faire ses preuves. Dès lors, je ne vois aucune raison de les modifier. Je demande donc de résister à la danse du ventre des aigris et profiteurs politiques, qui ne se rendent pas compte que les élèves de prépa réussissent déjà par leur travail, et pas en payant des chèques.

7 commentaires:

  1. Très bon article, en espérant que ton blog se développe. Je voudrais juste ajouté pour les prépa lettres (BL/AL) que de nombreux concours existent et sont accessibles aux khâgneux (l'ens, sciences po, école de communication, écoles de communication, d'arts, voire même désormais une école d'ingénieur). L'orientation vers l'université s'explique souvent par le fait que la classe prépa est conçue alors comme un tremplin de luxe vers la fac (pour préparer les concours de l'enseignement ou faire de la recherche).

    Sinon d'accord avec le reste. Super article

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  2. Bon, en fait, je vais réagir ici au lieu de Twitter... Tout cela me fait bondir...

    Je ne comprends pas l'argument du "ça coute plus cher". Ah bah oui mettre un prof derrière les élèves pour leur expliquer et les inciter à bosser ça coute plus cher, c'est évident! Mais franchement, comment peut-on dire que ce n'est pas une chance offerte aux élèves ? La solution ne serait-elle pas de démocratiser les colles à tous ceux qui le souhaitent plutôt que de les pointer du doigt ?

    C'est vrai qu'en prépa on est poussé au boulot.
    Comment est-on poussé ? Par un gros suivi... Si on ne bosse pas, on se fait défoncer en colle, les yeux dans les yeux avec un prof qui ne fera pas de cadeau, mais qui sera aussi là pour expliquer si jamais. En fac, si on n'a rien fait pendant tout un semestre, personne ne s'en rendra compte, et finalement l'étudiant n'arrivera potentiellement à rien... Mais là tout le monde s'en fout, l'étudiant sera totalement anonyme. Alors qu'en prépa ça fera baisser la stat' de la dite prépa, donc on l'incite à bosser (et c'est vrai que l'élitisme du recrutement aide aussi à tenir les stats).

    Pour moi supprimer les prépas est une bétise. Il y a peut-être des ajustements à faire pour amoindrir cet effet "de reproduction sociale", mais il serait tout de même plus pertinent de prendre le meilleur de chaque parcours scolaire et s'en inspirer pour amener les élèves le plus loin possible...

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  3. Une question corollaire à ton exposé et qui n'est pourtant pas soulevée est la suivante : pourquoi, alors qu'il "ne peut pas y avoir de discrimination", la prépa est-elle de facto l'un des instruments de la reproduction sociale en France ? Certes, et tu le dis, chacun a sa chance, toutefois il est indéniable que les enfants de bonnes familles la prennent plus assidûment. Pourquoi ?

    Mon opinion est qu'il faut considérer le poids et l'influence de la famille dans le processus d'orientation. Je suis personnellement une illustration de cette reproduction sociale : la moitié de ma famille a fait HEC, je suis en train d'en passer le concours. J'admets sans complexes que mes parents m'ont poussé à faire une prépa, plutôt qu'aller à Dauphine par exemple (si j'avais voulu être médecin, j'aurais eu leur bénédiction, simplement quitte à faire du commerce ils ont souhaité que ce soit par cette voie). Je connais en outre nombre de familles où il a été exercé une pression plus forte encore sur les enfants, ces fois-là nonobstant une inclination à d'autres études.

    La vraie question est : peut-on à 18 ans faire le choix autonome de se plonger, deux années durant, dans une institution dont la réputation fait trembler jusqu'au fayot à lunettes du premier rang ? Ma réponse est non, dans une majorité de cas il faut une pression parentale. Les parents ayant surmonté l'obstacle ne renâcleraient pas à y soumettre leur progéniture ; à l'inverse, les parents ayant fait d'autres études auraient moins tendance à insister.

    Dès lors que faire ? Probablement plusieurs choses, et si vous êtes d'accord vous m'aiderez à en trouver d'autres :
    -incontournable pour moi : désacraliser la prépa dans l'imaginaire des lycéens. Certes en prépa il faut bosser, mais un bon élève bien orienté s'y plaira et avec un peu de méthode ce sera tout à fait vivable.
    -éduquer les parents : les sensibiliser au fait qu'une orientation réussie exclut que l'étudiant se convainque qu'il n'a pas pu exercer son choix.
    -s'appuyer sur les enseignants du secondaire pour qu'ils poussent les élèves méritants vers ce choix, éviter le sous-emploi des talents dans des filières peu exigeantes où "l'ambiance" familiale les dirigerait naturellement.

    Voilà, je n'ai pas prétention à résoudre le problème, d'ailleurs je n'en aborde qu'une partie. Peut-être toutefois qu'en combattant les fondements l'une des trois "idées reçues" que tu cites, celle la plus choquante à mon sens, on pourra faire en sorte que cette institution demeure le pallier supérieur légitime d'un système éducatif échelonné, et non la plateforme 'select' surplombant un fossé social insurmontable pour le plus grand nombre.

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  4. @eridann Oui, la prépa est parfois perçue comme un tremplin vers des études en fac, pour avoir un meilleur niveau et une meilleure préparation, pendant que les classes de fac de premières années sont remplies par des gens qui n'ont parfois rien à y faire. Mais ce phénomène reste assez marginal en CPGE scientifique ; en littéraire, d'après ce que je sais, c'est en effet plus courant.


    @LudovicBorie Au début, j'ai eu peur que t'aies mal compris mon point de vue. Ensuite, j'ai mieux compris ! Et je suis d'accord avec toi. Comme je l'ai dit, je ne crois pas au nivellement par le bas, et je pense que le système des prépas est déjà très bien adapté pour l'enseignement qui y est dispensé. Après, je ne m'oppose pas à l'anonymat de l'université, je comprends tout à fait qu'il y ait un désir d'autonomie. Parce qu'avoir son prof de maths en direct qui te dit que t'as pas travaillé alors que t'as passé 18 heures de ton week-end à apprendre de la topologie, c'est pas cool.


    @Valent1 La poids de la famille est assurément prédominant, les enfants issus de familles ayant fait HEC ou Polytechnique étant, en effet, souvent poussés en prépa. Seulement, je pense qu'on peut faire ce choix sans y être contraint. Comme exemple, je m'auto-citerai : ma mère est secrétaire à mi-temps à 400 € par mois, mon mère dans la grande distribution, et quand j'étais au collège, on me disait "tu seras jardinier parce que tu aimes les plantes". Et finalement, je suis en prépa, sans y avoir été poussé.

    Je pense que la principale raison du phénomène de "reproduction sociale" des prépas est psychologique : des élèves se sous-estiment et ne croient pas à leurs chances en prépa alors qu'il en existe pour tous les niveaux et tous les profils ; d'autres ont peur d'y aller à cause de ce qu'on en dit. Et là, on retrouve finalement le problème du pessimisme chronique du Français moyen.

    A tes trois propositions auxquelles j'adhère, j'ajouterais une meilleure orientation dès la première, avec la présentation de toutes les filières disponibles et de leurs spécificités (méthodes de travail, matières suivies, débouchés réellement possibles). Aujourd'hui, à part pour les familles bien informées, il n'y a que peu d'information sur ce qu'est effectivement une prépa, ce qu'on y fait, et comment la choisir, et on se retrouve en février avec 200 personnes aux portes ouvertes des meilleures prépas alors que les moins connues ont du mal à remplir.

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  5. Je suis tout à fait en phase avec Valent1 : l'information et l'environnement parental jouent pour beaucoup, plus à mon avis que le côté pécuniaire.
    J'aimerais aussi attirer l'attention sur le gouffre qui existe à l'intérieur même des grandes écoles : entre HEC et l'ESC Saint-Étienne, les publics ne sont pas les mêmes.

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  6. @eridann Oui, la prépa est parfois perçue comme un tremplin vers des études en fac, pour avoir un meilleur niveau et une meilleure préparation, pendant que les classes de fac de premières années sont remplies par des gens qui n'ont parfois rien à y faire. Mais ce phénomène reste assez marginal en CPGE scientifique ; en littéraire, d'après ce que je sais, c'est en effet plus courant.


    @LudovicBorie Au début, j'ai eu peur que t'aies mal compris mon point de vue. Ensuite, j'ai mieux compris ! Et je suis d'accord avec toi. Comme je l'ai dit, je ne crois pas au nivellement par le bas, et je pense que le système des prépas est déjà très bien adapté pour l'enseignement qui y est dispensé. Après, je ne m'oppose pas à l'anonymat de l'université, je comprends tout à fait qu'il y ait un désir d'autonomie. Parce qu'avoir son prof de maths en direct qui te dit que t'as pas travaillé alors que t'as passé 18 heures de ton week-end à apprendre de la topologie, c'est pas cool.


    @Valent1 La poids de la famille est assurément prédominant, les enfants issus de familles ayant fait HEC ou Polytechnique étant, en effet, souvent poussés en prépa. Seulement, je pense qu'on peut faire ce choix sans y être contraint. Comme exemple, je m'auto-citerai : ma mère est secrétaire à mi-temps à 400 € par mois, mon mère dans la grande distribution, et quand j'étais au collège, on me disait "tu seras jardinier parce que tu aimes les plantes". Et finalement, je suis en prépa, sans y avoir été poussé.

    Je pense que la principale raison du phénomène de "reproduction sociale" des prépas est psychologique : des élèves se sous-estiment et ne croient pas à leurs chances en prépa alors qu'il en existe pour tous les niveaux et tous les profils ; d'autres ont peur d'y aller à cause de ce qu'on en dit. Et là, on retrouve finalement le problème du pessimisme chronique du Français moyen.

    A tes trois propositions auxquelles j'adhère, j'ajouterais une meilleure orientation dès la première, avec la présentation de toutes les filières disponibles et de leurs spécificités (méthodes de travail, matières suivies, débouchés réellement possibles). Aujourd'hui, à part pour les familles bien informées, il n'y a que peu d'information sur ce qu'est effectivement une prépa, ce qu'on y fait, et comment la choisir, et on se retrouve en février avec 200 personnes aux portes ouvertes des meilleures prépas alors que les moins connues ont du mal à remplir.

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  7. "Plus radicalement, on pourrait suggérer que, dans chaque lycée, un certain pourcentage des élèves aient un accès automatique aux classes prépa, ce qui aurait l'avantage d'éviter la concentration des meilleurs élèves dans les meilleurs établissements (étant entendu que ces établissements ne sont pas intrinsèquement meilleurs : ils obtiennent de meilleurs résultats seulement parce que les élèves des catégories sociales élevées y sont concentrés...)", Olivier Bouba-Olga.

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