Non, cet article ne parlera pas du sujet ultra-classique du « Internet, c'est bien parce qu'on peut tout faire, mais c'est pas bien parce qu'il y a du téléchargement illégal ». Par contre, cet article parlera d'une nouvelle pratique très lucrative sur le net, les « chasseurs de primes ». Ce papier du Monde nous rappelle la pratique.
Aujourd'hui, un constat s'impose aux yeux de l'industrie du disque, et dans une moindre mesure de la télévision, du cinéma et des jeux vidéo. Pendant qu'Internet ouvrait de nouveaux accès à la « culture », les bénéfices de certaines entreprises baissaient. Un lien a hâtivement été établi, l'occasion étant trop belle pour justifier le manque de renouvellement du secteur.
Comment enrayer le nombre croissants de téléchargements gratuits (pas tous illégaux, en passant) en espérant que les ventes remonteront ? Comme souvent aux Etats-Unis, la solution passe par la justice. L'idée est simple, attaquer les méchants internautes.
On distingue alors deux situations typiques : les poursuites judiciaires à caractère exemplaire, et les arrangements purement lucratifs. Les premières sont principalement menées par la RIAA (Recording Industry Association of America), tandis que les seconds font le bonheur des cabinets d'avocats privés.
La RIAA regroupe les principaux acteurs de l'industrie américaine du disque. Super-lobby, elle s'occupe aujourd'hui de la création, de l'enregistrement, de la distribution de 90% des enregistrements audio légaux des Etats-Unis. Mais surtout, c'est elle qui s'occupe de protéger la propriété intellectuelle en attaquant systématiquement en justice tous les fraudeurs.
Avec une des dernières lois américaines sur le sujet, The Digital Theft Deterrence and Copyright Damages Improvement Act de 1999, et avec le cumul des peines, l'utilisateur ayant eu le malheur d'être repéré risque entre 750 et 30 000 dollars par œuvre obtenue illégalement, et entre 750 et 150 000 dollars s'il l'a obtenu « volontairement ». S'il est condamné, le prix par œuvre est alors fixé dans ces fourchettes, par un jury populaire ou par un juge.
Deux affaires sont restées célèbres pour la démesure de leur condamnation. En juillet 2009, Joel Tenenbaum est condamné à payer 675 000 dollars pour le téléchargement de 30 titres (soit 22 500 dollars pour du Nirvana, Eminem ou Green Day). En 2010, Jammie Thomas se voit réclamer 1,92 millions de dollars après un premier jugement, après le téléchargement de 24 titres (dont du Aerosmith, ou encore du Green Day, à 80 000 dollars chacun).
Ces procédures ont pour but de décourager les internautes les plus peureux, en faisant de quelques cas isolés des exemples très médiatisés. Ces procès sont longs, et très coûteux pour l'industrie du disque, mais elles espèrent gagner sur le terrain de la peur.
Les sommes astronomiques obtenues par la RIAA a suscité des vocations. Des avocats ont alors repris l'idée, en jouant là-encore sur la peur. Après avoir découvert un internaute délinquant et avoir obtenu son identité par son Fournisseur d'Accès à Internet, un marché est proposé : soit le fraudeur paie 1 500 dollars immédiatement sur le site Internet du cabinet d'avocats, soit le cabinet d'avocat engage des poursuites judiciaires contre le méchant.
Un chantage psychologiquee se met alors en place. Un procès est long, coûteux, et surtout visible. L'industrie de la pornographie l'a bien compris, et menace ainsi n'importe qui, pourvu qu'il puisse avoir de la famille, des amis, ou des collègues que de telles révélations pourraient choquer.
Ce racket légalisé des internautes est l'enfant d'un mariage heureux entre des avocats avides de profits et des entreprises qui ne refuseraient pas un petit complément de revenus. A chaque transaction, une part du bénéfice revient ainsi à la société. Si l'accusé hésite, une offre de 2 500 dollars est proposée pendant quelques semaines. Le délai expiré, une plainte contre « X » est déposée.
Le cabinet US Copyright Group (UCSG - pour ne pas le confondre avec US Coast Guard) illustre parfaitement ces nouvelles pratiques. Après une première opération contre 16 000 personnes en septembre 2010 puis quelques petits arrangements avec quelques petits milliers d'Américains, la dernière action fait mouche : 23 322 internautes détectés comme solvables viennent d'être contactés, après leur téléchargement du film The Expendables. Avec, à la clé, une prime substantielle de plus de 35 millions de dollars pour les avocats.
En France, la situation est différente, même si elle risque vite de se rapprocher de l'américaine. Depuis la loi HADOPI 2, seul un juge, contacté par la haute autorité administrative, peut condamner un internaute à titre individuel. Les procédures sont donc longues, rares, à l'inverse des repérages de fraudeurs. Comme aux Etats-Unis, on repère les adeptes du téléchargement illégal en enregistrant les adresses IP sur les sites de partage par peer-to-peer. En France, le travail est confié à la société TMG.
Sur ces pratiques, de nombreuses critiques font jour. Je ne parlerai pas ici du débat sur « Faut-il permettre le téléchargement de tout ? », mais de critiques plus intéressantes.
Aux Etats-Unis, le UCSG est ainsi attaqué par des associations de consommateurs pour harcèlement, et des avocats en profitent pour vendre des formulaires clé-en-main pour contester les courriers reçus. En outre, de nombreux cas de faux signalements ont été déclarés. Face à ces réticences, l'UCSG contre-attaque, là-encore en justice.
En France, la société TMG (pour Trident Media Guard) vient d'être pointée pour des failles de sécurité sur ses serveurs. Des internautes ont ainsi pu accéder à des listes d'adresse IP, ou au code source du logiciel servant à détecter ces adresses IP sur les sites de téléchargement. L'HADOPI a alors annoncé une suspension provisoire de ses liens avec TMG.
A travers toutes ces histoires, où se mêlent intérêts privés, argent, lobbys, et cabinets d'avocats, on est bien loin de l'Internet du bon vieux temps, où une forte communauté soudée n'y voyait rien d'autre qu'un formidable moyen de communication et de diffusion du savoir. Alors que « Justin & Beliebers » est en tête des mots les plus employés sur Twitter, comment faire comprendre aux utilisateurs qu'ils doivent se battre pour préserver ce qui devrait aujourd'hui être reconnu comme une liberté fondamentale ?
Et en bonus : l'interview de quelques députés pendant les discussions sur le projet de loi HADOPI. Mention spéciale à Jean-Pierre Grand : même à République Solidaire, nos députés ont du mal avec les nouvelles technologies !
Très bonne introduction de présentation sur le sujet; ce qui me rappel à quelque point mes connaissances en matière d'internet sont faibles.
RépondreSupprimerJe reviendrai demain laisser un commentaire sur le fond.
Merci de nous faire partager tout cela en tout cas :)
Rbgb